Voyage avec mon père de Julia von Heinz
Il arrive que s’instaurent des liaisons souterraines entre certains films que l’actualité propulse simultanément sur les écrans. Le 80 e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz a ainsi engendré plusieurs projets indépendants les uns des autres qui interrogent la mémoire des descendants des victimes de la Shoah. C’était le cas récemment d’A Real Pain dans lequel Jesse Eisenberg met en scène le pèlerinage mémoriel de deux cousins new-yorkais en hommage à leur grand-mère. Et voici qu’un autre film signé par la réalisatrice berlinoise Julia von Heinz s’attache à une jeune femme rongée par un profond malaise existentiel qui embarque son géniteur dans cette Pologne dont il est originaire mais où il n’est jamais retourné. Un compagnonnage heurté, dans la mesure où ce bon gros géant préfère plaisanter, là où sa fille aimerait juste qu’il lui parle de ce passé enfoui, en lui déniant ainsi un accès à ses racines. Le film est évidemment fondé sur les rapports heurtés de ces deux personnages, elle pétrie de névroses dont atteste son surpoids, lui réfugié derrière un humour et une sérénité à toute épreuve. Jusqu’au moment où le vernis craque, quand ils se rendent dans l’immeuble où il a grandi et où l’un des habitants lui sert le thé dans le service de sa grand-mère. Dès lors, l’émotion que distille le film va crescendo et nous prend à son piège. Avec ce travelling au détour duquel on aperçoit dessiné sur un mur la pendaison d’une étoile de David qui semble attester que rien n’a changé et que tout pourrait recommencer. Voyage avec mon père bouleverse aussi par ce genre de détails.
Jean-Philippe Guerand
Treasure. Film franco-germano-polono-américain de Julia von Heinz (2024), avec Lena Dunham, Stephen Fry, Zbigniew Zamachowski, Tomasz Wlosok. 1h52.