Rien à foutre d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre

Il y a quelques années on avait pu s’émouvoir en constatant que le seul le vieux grognard Ken Loach osait regarder en face le monde nouveau, né, entre autres, de son ubérisation, avec Sorry we missed you. Enfin, pour leur premier long métrage, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre osent à leur tour poser un regard sur cette société, loin d’un cinéma d’auteur français nombriliste rempli de qualités, mais un peu omniprésent. Certes, Rien à foutre est concentré sur un personnage, une jeune femme, de tous les plans, hôtesse de l’air, interprétée par Adèle Exarchopoulos. Mais, à partir de l’observation de sa vie, ce n’est pas tant une machine fictionnelle que les auteurs créent qu’une chronique du quotidien, où les signes de la modernité se mélangent et s’emmêlent. La précarité, l’hypocrisie des apparences et de l’exploitation, le travail moderne et les nouvelles formes d’exploitation : l’héroïne traverse tout cela en en ayant (apparemment) rien à foutre ce qui donne au film son ton décalé, lui permettant d’être féroce dans sa critique sans jamais la moindre lourdeur. L’intime n’est néanmoins pas évacué, à travers une scène mémorable de téléphone et une confession dans l’obscurité où se dessine, enfin, la blessure qui pousse la protagoniste à une fuite en avant émotionnelle et professionnelle. Sans jamais forcer le trait, en créant de l’humour à partir de l’absurde inhérent de situations, les deux cinéastes livrent la comédie sombre que l’on attendait, une description amusée mais alerte de notre fameux nouveau monde.

Pierre-Simon Gutman

Film français d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, avec Adèle Exarchopoulos, Alexandre Perrier, Mara Taquin, 1h52.