Critique

Publié le 9 juillet, 2024 | par @avscci

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Partie de campagne de Jean Renoir

Et si ce film inachevé, tourné pendant l’été 1936, interrompu pour cause de mauvais temps, monté finalement à Paris en 1946 par Marguerite Renoir alors que Jean Renoir se trouvait aux États-Unis, était le sommet de l’œuvre du fils d’Auguste ? Adapté d’une nouvelle de Maupassant, il est apparemment une comédie, l’expédition un peu ridicule d’une famille de commerçants parisiens sur les bords du Loing. Les quelques minutes de la fin confirment ce que pensait obscurément le spectateur : cette comédie est un drame et l’histoire racontée est l’histoire d’une déception éternelle (rappelons-nous le poème de Wordsworth cité dans La fièvre dans le sang d’Elia Kazan : « Rien ne nous rendra l’heure de la splendeur de l’herbe, de la gloire des fleurs… »). Eau, eaux, étang, plage, fleuve, l’élément eau traverse l’œuvre de Renoir. La rivière est le personnage principal de ce film. Comme pour Maupassant, la rivière c’est la sensualité, le plaisir physique. Mais aussi, à égalité, la mélancolie du passage du temps, qui file entre les doigts, irrattrapable. Panthéiste comme son père, Renoir convoque les nymphes des eaux et les satyres antiques. Mais l’élégie, absente chez Auguste, parcourt l’œuvre du fils. La peinture c’est l’instant, le cinéma, c’est le déroulement du temps. Cinq minutes avant la fin, la rivière criblée de pluie, surplombée de nuages, d’herbes, d’arbres, au cours scandé par la musique de Kosma, est filmée « à reculons » dans un étrange travelling arrière pour marquer le temps qui passe. Travelling arrière ? Défilement inversé de la pellicule ? Le temps qui passe, ce devrait être un travelling avant, pense-t-on naïvement, puisqu’on dit flash forward. Quand le temps est passé (« des dimanches tristes comme des lundis »), travelling avant sur l’eau, puis latéral sur la barque d’Henri. Renoir citait son père : « Il faut se laisser aller dans la vie comme un bouchon dans le courant d’un ruisseau ». Ici, la désinvolture qu’il prétend adopter fait place au désespoir des amants d’un instant. Les artistes communiquent en secret : John Ford, au début de Vers sa destinée, utilise les mêmes images d’eau fuyante pour s’attrister sur le passage du temps.

René Marx

Film français de Jean Renoir (1936-1946), avec Sylvia Bataille, Georges Darnoux, Jacques Brunius. 0h40.




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