Publié le 16 juillet, 2020 | par @avscci
0Numéro 674 – Joe Hill de Bo Widerberg
Joe Hill de Bo Widerberg
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Dossier Joe Hill de Bo Widerberg
Entretien avec Olivier Assayas à propos de Joe Hill
Olivier Assayas n’est pas seulement l’un de nos grands cinéastes. À l’instar de Bertrand Tavernier ou Claude Lelouch (et bien d’autres), c’est aussi un grand cinéphile. Qui a une affection particulière pour Joe Hill. Nous n’avons pas résisté à la tentation d’en parler avec lui…
Quand avez-vous découvert Joe Hill ? Qu’en aviez-vous pensé ?
Olivier Assayas : J’ai vu le film à sa sortie. Je ne l’ai revu que bien plus tard, lorsqu’il a été réédité. Le film m’avait beaucoup marqué. J’admire le travail de Widerberg en général. À l’époque, je n’avais pas vu Elvira Madigan, mais j’avais vu Ådalen 31. J’étais très jeune, adolescent. C’était pour moi le film d’un grand cinéaste. Ensuite, comme tout le monde, j’ai oublié Widerberg. Bien que Widerberg ait été plusieurs fois en compétition à Cannes et ait connu le succès en France, après Joe Hill plus aucun de ses films ne sont sortis dans notre pays, y compris Un flic sur le toit, qui avait pourtant été un succès en Suède. Il a ainsi disparu de nos mémoires jusqu’à ce que Malavida réédite ses films. Lorsque Ådalen 31 a étéréédité, je me suis rendu compte que personne ne s’était intéressé à l’œuvre de Bo Widerberg depuis fort longtemps. Que valait le film ? Je l’ai revu et ai été extrêmement impressionné. De mon point de vue, c’est un long métrage important d’un cinéaste qui ne l’est pas moins. J’ai donc décidé de revoir l’œuvre de cet artiste, ce qui auparavant était très difficile. On trouvait des fragments de films sur YouTube, dans une mauvaise qualité.
Jan Troell a subi le même sort. Il a été oublié alors que Widerberg et lui correspondent à une Nouvelle Vague suédoise qui a été importante.
Nous sommes dans les années qui suivent mai 68. Quel aspect vous séduisait le plus : le politique ou l’esthétique ?
O. A. : La dimension politique de ses films me plaisait beaucoup. C’est pourquoi j’ai choisi d’insérer un extrait de Joe Hill dansmon film Après mai1, lorsque des personnages vont au cinéma. Il y a l’engagement politique, le syndicalisme. Joe Hill est une figure du mouvement ouvrier.
D’un autre côté, il a quelque chose d’élégiaque dans la manière de regarder le territoire et la nature dans la traversée des États-Unis. Il y a un impressionnisme, quelque chose de très simple, de très naturel, de frais, de vivant dans le travail de Widerberg qui le rapproche de Pialat. On retrouve cette même liberté d’écriture.
Ce qui m’avait aussi frappé à l’époque, c’est à quel point le film infuse celui de Lars von Trier, Dancer in the dark. Il y a les trains, l’espace, le territoire américain… et la peine de mort. Il me semble que Lars von Trier le cite dans son livre d’entretiens avec Stig Björkman2. Il dit bien à quel point Joe Hill l’a influencé pour son film musical.
Concernant le cinéma politique, il y avait un débat très fort à l’époque, qui paraît aujourd’hui suranné. Il opposait ceux prétendant qu’il fallait raconter des histoires par le biais narratif le plus simple pour toucher le plus grand nombre, comme Costa-Gavras ou Boisset, et ceux défendant, à l’instar de Godard, un cinéma politique formellement radical, donc révolutionnaire…
O. A. : Widerberg n’est dans aucun de ces deux camps. Sa liberté d’écriture n’a de compte à rendre à personne et ne prend pas part aux débats de l’époque. Son choix du lyrisme coïncide avec la foi des débuts du syndicalisme. Son rapport à la politique trouve sa singularité en se concentrant moins sur les idées qu’en se penchant sur les personnages. Il est du côté des individus, des opprimés. Il se projette lui-même dans la figure emblématique de Joe Hill, qui est à la fois un poète et un révolutionnaire.
Le réalisateur dit avoir veillé à ne pas présenter Joe Hill comme un saint. Il ne néglige pas sa face sombre. Par exemple, lorsqu’il quitte la fermière, il n’apparaît pas comme très sympathique. Il est du coup montré comme quelqu’un d’humain plutôt que comme un type bien sous tous rapports écrasé par le grand Capital…
O. A. : Oui. Widerberg est toujours du côté de l’humanité, et de l’humanité complexe. Dans son traitement de cette figure historique qu’est Joe Hill, il ressort une véridicité de la violence des conflits sociaux de cette époque-là aux États-Unis. À travers sa trajectoire individuelle, il y a quelque chose de la grande Histoire qui passe.
Dans le film, il y a toute la partie qui se déroule à New York, la découverte du Nouveau Monde. Qui est paradoxalement fraîche et joyeuse, même si la misère est omniprésente…
O. A. : L’auteur parvient à donner à son film une véracité historique avec des moyens qui sont modestes. Les décors se limitent à un escalier, des coins de rue… Il gère cette absence de budget conséquent de façon brillante, car il y a quelque chose de vrai qui se dégage sur l’Amérique de cette époque et sa pauvreté. J’avais été impressionné par cette reconstitution du New York de l’époque avec l’économie du cinéma indépendant.
C’est un film que je rapproche de En route pour la gloire, d’Hal Ashby. Il y a un lien de parenté évident entre les deux films dans la mesure où Joe Hill est le modèle de Woody Guthrie, le héros du film d’Ashby, qui lui-même sera le modèle de Bob Dylan. C’est fort d’aller chercher les origines de la chanson populaire américaine dans l’histoire révolutionnaire des États-Unis.
Le film est chapitré en trois parties inégales : New York, l’errance dans la campagne et le procès, qui est assez long.
O. A. : Le procès est très long. Pour être honnête, il tire un peu en longueur. Il est amusant de constater que le film de Lars von Trier souffre du même déséquilibre, avec le procès qui n’en finit plus à la fin du film.
On sent chez Widerberg qu’il y a quelque chose d’inéluctable dans la façon dont l’individu est broyé par la machine politique. C’est aussi l’un des sujets du film. Cela résonne très fort et c’est très angoissant.
La façon dont Joe Hill défend ses idées passe par des discours, mais aussi par des actes, par son plaisir de vivre, de chanter, de parcourir le monde…
O. A. : Il y a quelque chose de très beau dans la façon dont la chanson apparaît dans le film. La scène où il écoute l’opéra à la porte est belle. Quand la parole devient chanson, quand l’engagement politique devient chanson, j’y suis très sensible. Je suis très touché de la même manière par Honkytonk Man, qui a aussi une parenté avec Joe Hill, même si Eastwood a plutôt Hank Williams à l’esprit quand il fait ce film. Il a la même façon de regarder l’Amérique par le biais du peuple.
C’est très émouvant la façon dont Joseph Hillström devient Joe Hill, dans la manière dont il devient américain. Il s’approprie ainsi le territoire. Il est de surcroît incarné par un acteur exceptionnel.
Avez-vous des réserves sur le film ?
O. A. : Non. Je suis très admiratif de la liberté de Joe Hill. Comme dans tous ses films, Widerberg présente la nature de façon brute. Ce n’est pas apprêté, ce n’est pas fabriqué, il n’y a rien d’artificiel. On a l’impression que tout est léger. C’est pour ça que je compare son cinéma d’extérieur aux travaux des impressionnistes. Il est plus attentif à préserver la véracité des moments, des lieux, des personnages et leurs sentiments. Il est opposé à l’artisanat, à la fabrication visible et au trop poli. Chez lui, les choses doivent rester brutes et authentiques. Ce sont les grandes qualités de son travail.
Votre admiration pour Bergman est connue. Or, Widerberg s’inscrit contre lui…
O. A. : Oui. Pour beaucoup de jeunes cinéastes de la Nouvelle Vague suédoise, la présence de Bergman est écrasante et envahissante. Dans le monde, tout ce que les gens connaissent, ou veulent connaître, du cinéma suédois c’est le travail de Bergman. Des cinéastes comme Bo Widerberg ou Jan Troell sont dans l’air du temps, marqués par les idéologies de l’époque. Bergman, lui, s’en tient à distance. Il est à ce moment-là déjà anobli. Il est en retrait des préoccupations du moment. Le gauchisme de la Nouvelle Vague suédoise ouvre un chemin que n’avait pas tracé Bergman. Cela dit, bien que différents, on a le droit d’aimer les deux. C’est mon cas. Le génie de l’un ne déprécie en rien celui des autres. Et il n’y a plus de raison de trancher que de devoir absolument choisir, comme nous y étions invités à l’époque entre les Beatles et les Rolling Stones ! n
PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION
et mis en forme par Tancrède Delvolvé
1. Film d’Olivier Assayas de 2012.
2. Entretiens avec Lars von Trier, éd : Cahiers du cinéma, Stig Björkman, 2000.