Publié le 8 avril, 2020 | par @avscci
0Numéro 671-672 – La grande vadrouille de Gérard Oury
La grande vadrouille de Gérard Oury
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Dossier La grande vadrouille de Gérard Oury
Comme nous l’avions fait auparavant avec Philippe Lioret, Pascal Thomas, Jean-Pierre Améris, Benoit Jacquot, Emmanuelle Bercot, Olivier Assayas, Jérôme Bonnell, Robert Guédiguian, les frères Larrieu, Jean-Jacques Annaud, Bertrand Tavernier, Paul Verhoeven, Dino Risi, Christian Carion, Lucas Belvaux, Stéphane Brizé, Jean-Loup Hubert, Costa-Gavras, Agnès Varda, Luc et Jean-Pierre Dardenne ou Jean-Paul Rappeneau, c’est par vingt-six petites touches successives que nous nous proposons de brosser le portrait de Gérard Oury, vingt-six flashs impressionnistes pour éclairer une œuvre iconique, hilarante et souvent plus que cela, un incomparable marqueur de son temps…
A comme André Cayatte
Le Miroir à deux faces n’est peut-être pas le meilleur film d’André Cayatte (ni le meilleur de Barbra Streisand, qui en signera un piteux remake sous un titre bancal, Leçons de séduction). Cayatte, avocat défroqué qui, se tournant vers la mise en scène, a su mieux que quiconque se livrer à de vibrantes réflexions sur la justice, qui à plusieurs reprises ont débouché sur de très grands films (Nous sommes tous des assassins, Le Dossier noir, Les Risques du métier, etc.). Mais c’est néanmoins un beau film, émouvant et cruel, mettant en scène Bourvil et Michèle Morgan, qui pour la circonstance interprètent un idiot et un laideron. Un chirurgien passant par là, le laideron deviendra une très belle femme (ce qui était plus naturel à Michèle Morgan que de jouer les mochetés) alors que l’idiot le restera… C’est un film-charnière dans la carrière de Gérard Oury. Parce que c’est lui qui incarne le chirurgien, l’un de ses rôles les plus consistants. Parce qu’il tombe naturellement amoureux fou de la star féminine, avec laquelle il finira par s’unir après bien des aléas. Parce que Cayatte lui offre de travailler avec lui à l’écriture du scénario, ce à quoi Oury prendra goût. Nous sommes en 1958. L’année suivante notre homme signera trois scénarios de plus. Et un an plus tard il passera derrière la caméra avec La Main chaude.
B comme Bordel
On n’a évidemment pas attendu Gérard Oury pour se rendre compte que la comédie se nourrit du désordre. Le chaos, la confusion, le bordel pour être plus cru sont en effet féconds en événements inattendus qui stimulent les zygomatiques autant qu’ils suscitent l’appréhension. La vie de Gérard Oury n’a pas été un long fleuve tranquille, et (certains de) ses films sont un évident reflet du foutoir de l’Histoire du monde. Cela aurait pu être sordide, mais de l’Espagne du XVIIe siècle (La Folie des grandeurs) à Mai 68 (La Carapate) en passant par l’avènement du nazisme (L’As des as) et les désastres de l’occupation allemande (La Grande Vadrouille), le cinéaste a traversé les temps avec beaucoup de grâce et une fantaisie qui ne s’est jamais démentie…
C comme Critique
Chantre d’un cinéma populaire qui n’a jamais cherché à adresser des clins d’œil aux élites autoproclamées, Gérard Oury n’a pas souvent eu l’oreille de la critique, plusieurs journalistes ayant eu à cœur de séparer l’homme et l’œuvre (déjà !) pour souligner que le cinéaste valait infiniment mieux que certains de ses films. Mais le divorce entre le signataire de La Grande Vadrouille et la presse a pris un tour très polémique autant qu’inédit lors de la sortie de L’As des as. Plusieurs médias ont alors publié un billet faisant valoir leur indignation de constater que le petit dernier de Gérard Oury avait attiré 71 000 Parisiens en ce 27 octobre 1982 quand Une chambre en ville, de Jacques Demy n’en rassemblait que 3165. Jean-Paul Belmondo avait aussitôt pris sa plus belle plume pour fustiger les chichiteurs de profession et autres peine-à-jouir dans un article resté célèbre : « Lettre aux coupeurs de têtes ». Avec le recul la polémique semble surréaliste tant il est évident que l’on peut aimer La Grande Vadrouille ET Les Demoiselles de Rochefort (tous deux dans l’ASC) et avoir des réserves, pour ne pas dire plus (ne donnons pas dans la flagornerie) pour ce qui est de La Soif de l’or ET de Parking.
D comme Duos
Gérard Oury avait une grande affection pour Laurel et Hardy. Mais il n’a sans doute pas eu besoin de revoir Les As d’Oxford pour savoir que le duo était une figure incontournable de la comédie. Tous les films du cinéaste ne s’inscrivent pas nécessairement dans ce schéma, mais il faut bien reconnaître que ses plus grands succès sont basés sur l’opposition de deux personnages masculins condamnés par les circonstances à faire route commune. Le tandem Bourvil / Belmondo est au cœur du Cerveau, De Funès et Montand brillent dans La Folie des grandeurs, Belmondo est associé à un gamin, Rachid Ferrache dans L’As des as, Pierre Richard et Victor Lanoux se retrouvent dans La Carapate [ci-dessous], des années après avoir débuté de concert au cabaret, Richard Anconina fait face à Michel Boujenah dans Lévy et Goliath, etc. Mais il va de soi que le duo qui culmine dans l’œuvre d’Oury est celui que forment Bourvil et de Funès dans deux films (qui sont d’ailleurs les deux plus grands succès du cinéaste) : Le Corniaud et La Grande Vadrouille. Les deux films doivent beaucoup à leur complémentarité : Bourvil est un bon gars, naïf et touchant, de Funès volontiers égoïste et parfois odieux… On notera qu’aucun duo féminin ne vient s’insérer dans cette brillante assemblée. Mais il s’en est fallu d’un cheveu, puisque La Grande Vadrouille devait se faire au départ avec deux héroïnes, Lili et Lulu, deux sœurs, l’une prostituée et l’autre religieuse. Comme on le sait, l’affaire ne se fit pas. Guy Casaril en entendit-il parler ? En tout cas quatre ans plus tard débarqua sur nos écrans Les Novices, un road movie foldingue avec une fille de joie (Annie Girardot) et une jeune novice (Brigitte Bardot). On ne sait que qu’aurait été Lili et Lulu… Les Novices est quant à lui un ratage total…
E comme Éléphant
La présence du pachyderme à ce stade de notre abécédaire n’est pas dû au fait que les films de Gérard Oury sont des poids lourds du box-office, mais plutôt en référence à la mémoire de l’animal, que l’on dit prodigieuse. Gérard Oury a écrit plusieurs livres. Dont l’un est fondamental pour qui veut en savoir un peu plus sur le cinéaste : Mémoires d’éléphant (1988). Ce livre épais, dense mais écrit d’une plume légère est un pur régal. Oury détaille avec gourmandise chacune de ses aventures cinématographiques, dont certaines ont pour le moins été bousculées (l’explosion de Mai 68 au moment du tournage du Cerveau, Montand refusant de mettre les pieds dans l’Espagne de Franco pour La Folie des grandeurs, La Guerre du Kipour qui tend les relations entre juifs et arabes alors que doit sortir Les Aventures de Rabbi Jacob, etc…). Mais c’est peut-être la première partie du livre, celle qui couvre les années d’avant le cinéma, qui nous prend pour ne pas nous lâcher. Parce que la vie de Gérard Oury mérite sans aucun doute d’être adaptée au cinéma tant elle s’est révélée romanesque. De l’enfance au cœur d’un Paris rêvé, au milieu de peintres de talent (la ville-lumière que célèbrera plus tard Woody Allen avec Minuit à Paris) aux premiers pas dans le monde du cinéma, le cœur du cinéaste battant la chamade pour les beaux yeux de Michèle Morgan, en passant par la fuite devant la barbarie nazie, les amours parfois compliqués (notre homme ayant dû rattraper in extremis une jeune femme qui venait de quitter son lit pour se jeter par la fenêtre), les débuts au théâtre avec Raimu, etc…
F comme Faits-divers
Pour débordante qu’elle fut, l’imagination de Gérard Oury (et de ses coscénaristes) n’en n’a pas moins été très inspirée par certains faits-divers. Dès 1962, Le crime ne paie, composé de quatre épisodes indépendants, lorgne de façon assez libre sur deux scandales ayant alimenté la chronique : l’affaire Clovis Hugues, du nom de cet ancien communard devenu à la fin du XIXe siècle député de Paris, victime de calomnies à répétitions, jusqu’à ce que son épouse révolvérise le fâcheux qui en était responsable, et l’affaire Fenayrou (1882), une affaire criminelle des plus glauques (et pittoresques) qui voit une femme demander à son mari de tuer son amant… Le film suivant, Le Corniaud, fait allusion à Jacques Angelvin, cet animateur de la télévision française qui a voulu arrondir ses fins de mois en exportant de l’héroïne à New York, dissimulée dans sa voiture (1962). De façon sans doute aussi lointaine, mais sans camoufler son inspiration, Le Cerveau regarde en direction du célèbre hold-up du train postal Glasgow-Londres, survenu le 8 aout 1963. Le Coup du parapluie est directement en relation avec l’assassinat de deux opposants bulgares par les services secrets de leur pays à l’aide d’un parapluie empoisonné (1978). Et l’enlèvement du gamin de La Vengeance du serpent à plumes n’est pas sans évoquer celle du petit Éric Peugeot (en 1960). Enfin Vanille fraise est clairement une parodie de la mission des services secrets français invités à couler le Rainbow Warrior, un bateau affrété par Greenpeace pour protester contre les essais nucléaires français dans le Pacifique (le 10 juillet 1985).
G comme Gaumont
Une bonne moitié des films de Gérard Oury a été produite par la Gaumont, le cinéaste ayant effeuillé la marguerite avec constance depuis ses débuts (ou presque) avec La Menace, jusqu’à la fin avec Le Schpountz (qui sera le tout dernier film produit par Alain Poiré). Mais ses deux plus grands succès, Le Corniaud et La Grande Vadrouille sont des films Corona (ils restent donc d’actualité). Grand manitou de la Gaumont, Alain Poiré a produit entre 1942 et 2001 (son mandat a été plus long que celui de Fidel Castro) plus de 300 longs métrages, principalement des comédies, signées par Georges Lautner, Édouard Molinaro, Yves Robert ou Claude Pinoteau. Gérard Oury n’a jamais caché sa profonde amitié pour le père de Jean-Marie Poiré (celui du Père Noël est une ordure), qui lui rendait bien…
H comme Honneurs
Après avoir été rayé des effectifs de la Comédie-Française dans le cadre des lois raciales de Vichy, après avoir mangé de la vache enragée tout au long des années d’après-guerre, après avoir un peu tardé à trouver sa voie (celle de la comédie populaire), Gérard Oury a profondément apprécié de l’être (apprécié) par tant d’amoureux du cinéma. L’engouement du public a été de toute évidence sa première récompense. Mais il n’a pas renâclé pour autant à être reconnu par ses pairs ou les plus hautes autorités de l’État. Les années 1990 l’ont ainsi vu recevoir les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur, un César pour l’ensemble de sa carrière (qui n’était pas encore arrivée à son terme) avant d’être reçu comme membre de l’Académie des Beaux-arts (au fauteuil du grand René Clément). Excusez du peu !
I comme Infarctus
Ce n’est pas Gérard Oury qui a découvert Louis de Funès, ce n’est pas lui non plus qui lui a permis de se hisser, après un long purgatoire, parmi les comédiens les plus populaires de son temps. Mais c’est à Gérard Oury que de Funès doit ses triomphes les plus grandioses. Sur les cinq films classés parmi les 100 plus grands succès de tous les temps où notre homme fait merveille, trois sont signés par Oury : La Grande Vadrouille, Le Corniaud, Les Aventures de Rabbi Jacob. Pour mémoire les deux autres titres, Le Gendarme de Saint-Tropez et Les Grandes Vacances sont des films de Jean Girault. Mais au-delà des chiffres, ne doit-on pas créditer Gérard Oury d’avoir permis au comédien de se déployer dans un environnement moins confiné, d’avoir trouvé de nouvelles directions pour déployer son jeu, et peut-être d’avoir fait preuve d’une (relative) humanité absente des autres films ? La collision entre la Rolls de de Funès dans Le Corniaud, et la 2CV du pauvre Bourvil, la direction de l’orchestre de l’Opéra dans La Grande Vadrouille, la danse hassidique des Aventures de Rabbi Jacob font en tout cas partie de ces morceaux de bravoure qui restent à jamais gravés dans l’imaginaire collectif. Il s’en est fallu de peu que la collaboration entre le cinéaste et le comédien connaisse un ultime avatar, intitulé Le Crocodile. Mais le saurien n’est jamais sorti du marécage des projets mort-nés suite à un double infarctus de de Funès en mars 1975. La star tournera encore six films, sous la direction de Claude Zidi ou Jean Girault, mais jamais plus avec le signataire de La Grande Vadrouille.
J comme Juif
Gérard Oury n’avait que peu d’inclinaison pour la religion, il n’en était pas moins juif jusqu’au fond du cœur. Comme un signe naturel de solidarité avec ceux qui avaient été pourchassés dans les années 1940 (il en était), en réaction contre cet antisémitisme qui parfois décline mais jamais ne meurt. Les Marx Brothers n’ont jamais mis en avant leur identité juive dans leurs films. Gérard Oury se range quant à lui plutôt du côté de Woody Allen, qui n’a jamais nié sa judéité, quand il n’en a pas ri. Il est au moins trois films de Gérard Oury qui portent (joyeusement) le fer dans la plaie : Les Aventures de Rabbi Jacob, qui voit un chef d’entreprise raciste et buté contraint de se déguiser en rabbin, Lévy et Goliath, qui met en scène deux frères vivant leur judéité de façon radicalement opposée, L’As des as, qui glorifie un sportif français lorsqu’il sort une famille juive des griffes d’Hitler. Nous pourrions ajouter le reportage que le cinéaste a effectué en 1992 à Jérusalem dans le cadre de l’émission Envoyé spécial, dans lequel il posait la question de la cohabitation nécessaire entre les tenants des trois religions monothéistes.
K comme Kipa
La question de la religion est évidemment au centre des Aventures de Rabbi Jacob, mais sans doute de façon légère tant le film joue sur les apparences et n’utilise la foi que pour circonscrire l’intolérance. Moins réussi, Lévy et Goliath est peut-être aussi plus pointu sur la question de la religion, puisqu’il met en présence deux conceptions de la judéité, à travers deux frères, l’un qui croit au ciel et l’autre qui n’y croit pas (pour reprendre Éluard). Remarquons que le thème de la fratrie qui pousse dans deux directions opposées sur le plan du dogme religieux est également au centre de l’un des films les moins remarqués (mais qui n’en possède pas moins de belles qualités) de Danièle Thompson, Des gens qui s’embrassent.
L comme Lignée
La mère de Gérard Oury, Marcelle, était critique d’art. Elle aimait la peinture et les peintres, et posait volontiers pour certains d’entre eux qui ont laissé leur nom à la postérité. C’est donc dans un milieu artistique que le petit Gérard a été élevé… Avant de se tourner vers le théâtre, puis vers le cinéma. Mais l’ADN ne saurait mentir, et la fille unique du cinéaste, Danièle Thompson, a travaillé longtemps avec son père à l’écriture des films de ce dernier. Y prenant goût, elle a parfois déserté le domaine de la comédie pour travailler avec Patrice Chéreau. Avant de passer à son tour derrière la caméra. On lui doit à ce jour six longs métrages, depuis La Bûche jusqu’à Cézanne et moi, en passant par le superbe Fauteuils d’orchestre, une réflexion astucieuse sur l’art et ceux dont il irrigue la vie. Le cinéma de Danièle Thompson ne ressemble d’ailleurs pas à celui de son père, et privilégie les demi-teintes sans renier la fantaisie, ne faisant que très rarement appel aux gags. On sourit plus que l’on s’esclaffe. Mais la chaîne ne s’arrête pas là. Car Danièle a un fils, Christopher, avec lequel elle écrit le plus souvent ses scénarios, qui ne rechigne pas à faire l’acteur, et qui lui aussi est passé derrière la caméra, pour nous offrir il y a quelques années un très entraînant Bus Palladium.
M comme Michèle Morgan
Dans ses Mémoires d’éléphant Gérard Oury revient longuement sur la séduction que la comédienne a immédiatement exercée sur lui. Mais elle était déjà une star alors que le futur signataire de La Grande Vadrouille était encore dans l’ombre, doutant parfois de sa capacité à vivre de son art. Par ailleurs elle était mariée, et lui aussi… Mais l’amour a ses raisons… Si Michèle Morgan a donné la réplique à son futur compagnon dans Le Miroir à deux faces, elle n’a curieusement que peu tourné sous sa direction. Sans doute la tonalité burlesque des films de Gérard (qui n’ont par ailleurs que marginalement donné le beau rôle au sexe faible) ne convenait pas à ce qu’elle voulait jouer… C’est d’ailleurs dans Le crime ne paie pas (qui n’a rien d’une comédie) qu’elle fait feu de tout bois dans la peau d’une femme passionnée…
N comme Nazis
Les occasions ne manquent pas dans les films de ressentir un dégoût profond et viscéral à l’égard de l’idéologie et des exactions nazies. Mais Gérard Oury est définitivement un prince de la comédie, qui chez lui rechigne à se faire grinçante. Si L’As des as ou La Grande Vadrouille n’affichent pas la moindre complaisance pour Hitler et ses sbires, ils le font avec une bonne humeur qui au fond nous convient. L’une des scènes inaugurales de La Grande Vadrouille se situe au guignol. Et au fond, cette scène est un peu comme une métaphore de la tournure d’esprit du cinéaste. Qui préfère tourner en dérision plutôt que verser le sang. Aucun soldat de la Wehrmacht n’est tué dans les deux films cités, mais c’est peu dire que les militaires teutons en prennent plein la gueule. Et le spectateur de retrouver son âme d’enfant qui rit de bon cœur de voir Guignol rosser Gendarme sans ménagement.
O comme Oury
Max-Gérard Houry Tannenbaum n’aurait logiquement pas dû s’appeler Houry. Ni Tannenbaum d’ailleurs. Parce qu’Houry était le nom de sa mère, Marcelle. Et Tannenbaum celui d’un violoniste russe [ci-contre] qui a convolé en justes noces avec cette dernière. Pas très longtemps au demeurant… En réalité l’enfant était né de la relation passionnée de la jeune femme avec un aventurier chilien [ci-contre], recherché pour meurtre, et pionnier de l’aviation, Jose Luis Sanchez Besa de Avila. Gérard Oury (qui aurait donc très bien pu se nommer Max Sanchez) n’a jamais voulu en parler. Mais il n’est pas interdit de penser qu’il lui a rendu hommage en faisant de Jean-Paul Belmondo dans L’As des as un roi de la voltige… L’histoire est en tout cas d’un romanesque achevé… qui pourrait, pourquoi pas, déboucher sur un film. Sans doute pas une comédie…
P comme Peinture
Gérard Oury était un grand amateur de peinture, et plusieurs tableaux de maîtres étaient accrochés en bonne place chez lui, à Montmartre. Il faut dire que tel Obélix, il était tombé petit dans la marmite et qu’il en avait conservé un appétit durable pour le 3e Art (avant de devenir lui-même un chantre du 7e). La mère du futur cinéaste avait été l’une des modèles de Dufy, qui est resté jusqu’à sa disparition un ami de la famille. Tout comme Tsugouharu Foujita, un peintre expressionniste venu du Japon. Ces artistes ont incontestablement compté dans la vie de Gérard Oury. Ne serait-ce que parce qu’ils lui ont permis de traverser les années les plus difficiles. C’est en revendant (à contrecœur) certaines toiles qu’il a pu survivre, notamment pendant la guerre. Mais Jean Renoir n’a-t-il pas lui aussi pu faire ses premiers films en se séparant des quelques œuvres de son père ?
Q comme Quiproquo
Dire que le quiproquo est l’un des grands ressorts de la comédie revient à enfoncer une porte ouverte. Mais tous les cinéastes qui se targuent de faire rire ne l’emploient pas avec un égal enthousiasme. Gérard Oury n’a jamais chipoté le sien au jeu des faux-semblants et nombre de ses personnages se sont régalés à se cacher sous une identité qui n’était pas la leur. La porte ouverte à toutes les bévues, les gaffes, les méprises, les confusions, les malentendus, les équivoques, les imbroglios, voire les brouillaminis du monde. La scène de La Grande Vadrouille où nos deux fuyards font lit commun avec un officier de la Wehrmacht vaut à cet égard son pesant de cacahuètes, celle des bains turcs son pesant de noix de cajou.
R comme Raymond Rouleau
Un peu oublié aujourd’hui, Raymond Rouleau est un homme de théâtre et de cinéma (belge d’origine) qui a laissé une belle empreinte comme comédien et metteur en scène entre les années 1930 et les sixties. Il a signé quelques films (dont le plus connu reste Les Sorcières de Salem, qu’il avait auparavant monté au théâtre), mais c’est surtout comme l’un des grands du théâtre qu’il a été reconnu. Ayant repéré le talent de Gérard Oury, il l’a dirigé à plusieurs reprises sur les planches (le futur cinéaste dira volontiers que Rouleau lui a tout appris), depuis La neige était sale (en 1950), d’après Georges Simenon, jusqu’à Ruy Blas, dix ans plus tard. Cette dernière pièce, un classique de Victor Hugo, lui apprit au moins deux choses. D’une part que la grande famille des acteurs n’était pas si conviviale que ça : Rouleau avait obtenu que la Comédie-Française accueille la pièce et qu’il ait le choix des comédiens. Or Robert Hirsch considérait Oury come un intrus. Ils en sont venus aux mains… D’autre part que ce sombre drame pouvait quand même donner à rire. C’est ainsi que le comédien devenu metteur en scène l’adapta au cinéma sous le titre La Folie des grandeurs. Une adaptation très très libre. Très.
S comme Services secrets
Au royaume du quiproquo les services secrets sont naturellement à une place de roi. Gérard Oury leur a même donné la première place dans deux de ses films, Le Coup du parapluie et Vanille-Fraise (voir F comme Faits-divers). Mais, cela va sans dire, nous sommes assez loin de James Bond et plus encore de John Le Carré…
T comme Testament
Beaucoup de cinéastes présentent un premier film débordant d’éléments autobiographiques (ce n’est pas le cas de Gérard Oury), mais peu ont le loisir de proposer un film-testament en guise d’au revoir. Le plus bel exemple est sans doute à cet égard John Huston et Les Gens de Dublin. Gérard Oury a lui aussi signé un film qui ressemble énormément à un au revoir. Ce n’est pas son ultime opus, Le Schpountz, mais celui qui précède, Fantôme avec chauffeur. Un film en demi-teinte qui fait sans doute moins appel au rire franc et massif auquel ses autres films nous ont habitués. Un film mettant en scène un duo inédit, Philippe Noiret et Gérard Jugnot, épatants tous deux, qui aborde de plain-pied la question de la mort et de ce que les défunts laissent derrière eux. Un film enfin qui pose des questions sur le cinéma, à travers les jeux vidéo, producteurs de réalité virtuelle, dont abuse le petit-fils du personnage principal… Fantôme avec chauffeur est définitivement un film à part dans l’œuvre d’Oury. Que l’on nous permette de penser que c’est aussi l’un de ses plus beaux.
U comme Urbain
Gérard Oury était parisien. Mais ce n’est pas pour cela que nous le trouvons urbain. Mais bien parce que c’était un homme d’une délicatesse immense, d’un rapport toujours amical. Il ne devait pas être facile de se fâcher avec lui. Mais sa philosophie tenait en une phrase, qu’il a d’ailleurs utilisée pour sous-titrer l’un de ses livres de souvenirs : « Il est poli d’être gai ». Ce n’est pas une boutade, simplement une évidence des plus exigeantes.
V comme Verve de Belmondo
La verve est définie par M. Larousse comme étant la « Qualité de quelqu’un qui parle ou écrit avec brio et enthousiasme ». À cet égard il est difficile de nier celle de Jean-Paul Belmondo qui a traversé sa (très riche) carrière en donnant le sentiment qu’il s’amusait comme un fou, en adressant force œillades complices au spectateur (qui l’adulait). Les deux films tournés sous la direction de Gérard Oury comptent incontestablement parmi ses plus belles réussites. Et même si la postérité cite plus volontiers Pierrot le fou, L’Homme de Rio ou Itinéraire d’un enfant gâté, personne n’a oublié Le Cerveau et L’As des as. Qui sont d’ailleurs les deux plus grands succès de notre Bébel national au box-office !
W comme Walsh
On l’a dit, Raoul Dufy a énormément compté pour Gérard Oury. Mais il n’est pas le seul Raoul qui a traversé sa vie. Puisque notre homme a eu le loisir de se retrouver embauché par Raoul Walsh himself en 1950 pour être Napoléon ! Cette année-là, le signataire de Gentleman Jim et de La Charge fantastique s’était lancé dans l’aventure d’une fantaisie historique, La Belle Espionne, dont l’Histoire a retenu qu’il ne s’agissait pas de l’un de ses meilleurs films. Mais c’était une grosse machine hollywoodienne… et Gérard Oury, qui n’avait qu’un rôle secondaire, n’a jamais vraiment rencontré le géant hollywoodien…
X comme XXL
Plus de 66 millions d’entrées sur le seul territoire français (66 171 408 pour être précis) : Gérard Oury est évidemment un cinéaste XXL du box-office. Il a réalisé 17 films : la moyenne est donc un peu en-dessous de 4 millions d’entrées par film. Cela étant dit, tous les films n’ont évidemment pas rencontré le même succès. La Grande Vadrouille occupe la première marche du podium, avec 17,3 millions d’entrées. Le film est d’ailleurs très longtemps resté au sommet du classement toutes catégories confondues, avant d’être délogé par Titanic (20,8 millions), puis d’être dépassé un peu plus tard par deux comédies Made in France : Bienvenue chez les Ch’tis (20,5 millions) et Intouchables (19,5 millions). Suivent pour ce qui est des films de Gérard Oury Le Corniaud (11,7 millions) et Les Aventures de Rabbi Jacob (7,3 millions). Au total 6 films dépassent les 5 millions ! La fin de la carrière est la plus décevante puisque le cinéaste quitte la scène sur un maigrichon étiage de 206 000 entrées (Le Schpountz), un score plus court que celui de La Main chaude, son tout premier film…
Y comme Yeux
Les yeux sont sans doute l’attribut le plus précieux des cinéastes. Woody Allen l’a confirmé en interprétant avec beaucoup d’humour le rôle d’un metteur en scène qui perd la vue… et tourne néanmoins un film sans savoir ce qu’il y avait dans le cadre (Hollywood Ending). Gérard Oury n’a pas eu le loisir d’en faire une métaphore, mais la perte progressive de la vision a assombri ses dernières années. C’est devenu extrêmement invalidant dès la fin du tournage du Schpountz (qu’il a terminé dans des conditions acrobatiques). Mais ce handicap n’a jamais débouché sur quelque lamentation que ce soit. Il est poli d’être gai…
Z comme Zappé
Terminons sur le film qui ne s’est pas fait, celui que les circonstances ont zappé : Le Crocodile. Qui devait être pour Oury une nouvelle occasion de travailler avec Louis de Funès, qu’il avait pour la circonstance eu l’idée de transformer en dictateur d’un pays imaginaire d’Amérique du Sud (il faut dire que l’Amérique du Sud dans les années 1970 ne manquait pas de dictateurs haïssables, Pinochet n’étant pas le seul à tenir son pays sous une main de fer). Mais cette opportunité de suivre la voie de Chaplin (celle du Dictateur) n’a pas pu déboucher en raison des ennuis de santé de de Funès, qui a eu la mauvaise idée de faire deux infarctus à moins de deux mois du début programmé du tournage, le 14 mai 1975. Quelques années plus tard, le cinéaste a proposé à Peter Sellers de reprendre le rôle. Mais celui-ci a peu après succombé lui aussi à un infarctus. Quand ça veut pas, ça veut pas…