Publié le 15 janvier, 2020 | par @avscci
0Numéro 668-669 – Le hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau
Le hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau
Pour commander, cliquez ici
Dossier Le hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau
Le Hussard sur le toit : du roman au film
Jean Giono face à l’adaptation de ses romans
“Il y a ceux qui disent : “M. Pagnol a massacré une grande œuvre.” Il y a ceux qui disent “M. Pagnol a fait un chef-d’œuvre avec un mauvais roman” » : Marcel Pagnol réplique ici à Jean Giono qui veut voir son nom retiré du générique et des affiches d’Angèle, adapté de son roman Un de Baumugnes en 1934. Pagnol poursuit : « L’existence matérielle du film ne détruit pas le roman » et mieux encore, son succès fait « que ton livre se vend admirablement… Et si Angèle contribue à faire lire Un de Baumugnes, en somme je ne t’aurai pas fait un si grand tort ! Je connais beaucoup de romanciers célèbres qui aimeraient qu’on leur fît un tort de ce genre… » Cette lettre de Pagnol pourrait être adressée à tous les écrivains mécontents de l’adaptation filmée de l’une de leurs œuvres. Trente ans plus tard, Giono admettra qu’après avoir vendu ses droits à un producteur, il y a « quelque ridicule à faire la fine bouche ! » Mais devant François Chalais, qui l’interroge pour la télévision pendant le Festival de Cannes en 1961, il analyse avec justesse l’inévitable insatisfaction de l’auteur adapté : « Évidemment l’auteur n’est jamais content. Quand on a créé une œuvre, on a eu une discipline, un rythme. On a voulu faire une certaine chose. Dès qu’une autre intelligence s’occupe de cette chose déjà créée, elle est forcément en désaccord avec vous. Même si le film tiré d’un livre est admirable pour le public, l’auteur n’est jamais satisfait, car la création du film est à côté de la création du livre. Elle se sépare un peu de la création du livre. Même si ce n’est qu’une toute petite séparation, c’est déjà suffisant pour créer une sorte de malentendu entre l’auteur du livre et celui du film. »
Giono adaptateur
En adaptant pour le cinéma ses propres romans, comme ceux d’autres auteurs (Jiménez, Jules Verne), Giono prend conscience qu’adapter, c’est « créer une chose nouvelle adaptée à des besoins nouveaux » et que la fidélité à l’art cinématographique prime sur la fidélité à l’œuvre littéraire. Quand il s’empoigne avec son roman Un roi sans divertissement pour en faire un film, il le bouleverse de fond en comble, au point d’écrire sur la première page du manuscrit : « scénario original ». Luc Moullet, dans les Cahiers du cinéma en octobre 1963, analyse subtilement cette recréation à laquelle s’est livrée Giono : « Seul à avoir le droit de trahir son roman, il en a profité pour créer une variante, mais aussi une œuvre originale riche d’un texte en grande partie nouveau, clair et évocateur malgré son admirable densité. Pour un autre, la fidélité eût été une création aussi originale que difficile : pour lui, elle eût été rabâchage ennuyeux et infidélité à sa vocation de créateur. Mieux que le plus habile des scénaristes professionnels, il a su par déplacements et équivalences, reconstituer différemment le puzzle détruit du roman original, d’une façon plus conforme aux canons dramatiques du cinéma. »
Giono adaptateur du Hussard sur le toit
À deux reprises, Giono s’est confronté au Hussard sur le toit pour en tirer un scénario, en prenant le western comme référence. À la différence de la narration d’Un roi sans divertissement, récit éclaté aux narrateurs multiples, celle du Hussard est linéaire, suivant un ordre chronologique continu, comme dans un roman d’aventures. Les différentes adaptations du Hussard, y compris celles de Giono, se caractérisent par la suppression, l’ajout, le déplacement ou l’amplification d’épisodes, que les adaptateurs ont jugés utiles ou nécessaires à l’économie dramatique du film. Giono supprime, par exemple, plusieurs scènes du roman conservées par Rappeneau : la rencontre avec la préceptrice des enfants de Chambon et l’épisode de la grange où une trentaine de personnes suspectes d’être malades du choléra sont gardées par des gendarmes ; l’intervention de l’homme à « la cravate de faille » (Depardieu dans le film) qui sauve Angelo du lynchage ; le refuge dans les collines où Angelo retrouve Giuseppe, son frère de lait. Pour Giono, si « un écrivain n’a pas trop de peine à adapter une de ses œuvres déjà ancienne » car « il la domine mieux », la véritable difficulté réside dans les limites des possibilités techniques et financières du cinéma, qui contrairement à la littérature ne permet pas de tout faire. Il pense là à la manière dont il est possible de montrer l’épidémie, de représenter la mort des cholériques, de peupler le ciel et les toits de corbeaux.
Rappeneau, lecteur de Giono
Quand il ne s’agit pas d’une commande – cas fréquent – le choix de l’œuvre-source est un geste fondateur pour le cinéaste qui décide d’adapter une œuvre littéraire, avec laquelle il a nécessairement des affinités profondes. Elle lui permettra d’exprimer quelque chose de lui-même, parfois mieux qu’un scénario dont il serait l’auteur. Rappeneau a vingt ans quand il lit Le Hussard sur le toit et il confie avoir toujours été hanté par la scène de la rencontre entre Angelo et Pauline dans la maison de Manosque cernée par le choléra, « une des plus belles scènes de rencontre entre un homme et une femme de la littérature française ».
Changement de tempo
Pour Giono, « Le Hussard sur le toit est une histoire qui commence au pas d’un cheval et marche ensuite au galop. » Rappeneau inverse ce tempo et lance son film au galop pour le ralentir progressivement au cours de sa dernière demi-heure. Pour susciter d’entrée l’intérêt du spectateur par des scènes d’action rapides et violentes, il met en scène pendant le premier quart d’heure du film la traque de révolutionnaires piémontais réfugiés en Provence par des agents autrichiens. Angelo le hussard fait partie de ces carbonari exilés, en lutte contre la domination étrangère sur leur pays. Cette invention des scénaristes, qui ne trahit pas l’esprit de Giono, s’inspire de l’atmosphère de complot décrite dans Le Bonheur fou, le roman qui fait suite au Hussard et raconte les aventures d’Angelo emporté dans la tourmente révolutionnaire de la guerre d’indépendance contre l’Autriche. Pourchassé, Angelo s’enfuit d’Aix-en-Provence et prend le chemin de la Haute-Provence pour échapper aux « escadrons de la mort » autrichiens, lancés à sa poursuite. Cette traque, ponctuée de courts épisodes où le choléra entre en scène, restera sous-jacente à l’action pendant la première heure du film, en particulier à travers le personnage inventé de Maggionari, un ancien ami d’Angelo passé à l’ennemi, dont le parcours recoupe régulièrement celui du hussard. Le scénario ne recolle véritablement au roman qu’avec l’arrivée d’Angelo au village des Omergues, où il est confronté pour la première fois au choléra et rencontre le médecin (François Cluzet) qui lui révèle la nature de l’épidémie. Fidèle au second chapitre du roman, la séquence a été tournée dans la vallée du Jabron, là-même où Giono l’a située.
L’errance
Angelo reprend son errance vers le Nord pour regagner l’Italie, son objectif, mais doit rebrousser chemin sur ordre de militaires qui barrent les routes dans le but de circonscrire la propagation de l’épidémie. Le scénario développe alors la rencontre du héros avec d’autres errants : une jeune préceptrice (Isabelle Carré) et deux jeunes enfants dont elle a la charge. Romantique passionnée, la jeune fille émaille ses propos de références littéraires absentes du roman, mais qui en situent assez génialement l’esprit, en particulier quand elle fait allusion au Roland furieux de l’Arioste, évoqué à plusieurs reprises dans Le Hussard, que ce soit par le narrateur ou par Angelo qui confie à Pauline : « J’ai l’âme folle, je n’y peux rien. Il me faut l’Arioste. Là, oui, je suis à mon aise. » Plus loin, nous voyons la préceptrice lire Tristan et Iseult, puis offrir à Angelo un exemplaire de Renaud et Armide. Caractérisé par ses lectures, le personnage prend un relief qui le rend attachant. La découverte qu’Angelo fera plus tard de son cadavre et de celui des deux enfants, autre invention du scénario, en sera d’autant plus pathétique.
Les toits et la rencontre
Arrivé à Manosque, Angelo échappe de peu à une sordide mise à mort par les habitants qui l’accusent d’être un empoisonneur de fontaine. La haine engendrée par la peur est une saloperie encore pire que le choléra, éructe un commissaire de police (Gérard Depardieu), qui favorise la fuite d’Angelo. Pour échapper une nouvelle fois à ses poursuivants, le héros se réfugie sur les toits. L’épisode de la vie d’Angelo sur les toits en compagnie d’un chat prépare la scène centrale de la rencontre avec Pauline, qui n’intervient qu’après quarante minutes de projection. Une des difficultés rencontrées par tous les adaptateurs du Hussard est l’entrée en scène tardive de l’héroïne et si le séjour d’Angelo sur les toits est moins long que dans le roman, sans doute est-ce pour ne pas retarder plus longtemps cette rencontre, qui va faire basculer le film vers la comédie romantique et donner une nouvelle dimension au récit. Mais après la séquence de la première rencontre, d’une fidélité scrupuleuse à celle du roman, Pauline disparaît pour ne réapparaître que beaucoup plus tard. Sans doute est-ce pour réduire cet écart à une dizaine de minute dans son film, que Rappeneau a décidé en cours de tournage de supprimer la séquence, inscrite dans le scénario, où Angelo aide une nonne pittoresque à soigner les malades et toiletter les cadavres de cholériques.
Le film donne toute son ampleur à l’exode des habitants, qui fuient la ville pour se réfugier dans les collines, où Angelo va retrouver son frère de lait Giuseppe, qu’il recherche depuis son arrivée à Manosque. La caméra accompagne Angelo au milieu de la population qui bivouaque dans les vergers d’oliviers. Fidèle dans le détail, la mise en scène s’attarde à montrer le spectacle incongru, décrit par Giono, d’hommes et de femmes qui ont réinstallé le plus harmonieusement du monde leurs meubles en pleine nature. Mais les retrouvailles entre Angelo et Giuseppe sont elles aussi réduites et simplifiées, pour relancer au plus vite le héros sur les grands chemins du retour en Italie, où il va à nouveau croiser Pauline pour ne plus la quitter. Suppression notable : la lecture de la lettre de sa mère qu’Angelo reçoit des mains de Giuseppe, lettre admirable où la duchesse Ezzia exhorte son fils à l’imprudence, « seule façon d’avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures ». Le scénario inverse le rôle de la correspondance pour en faire un relai dans la narration : c’est Angelo qui écrit à sa mère pour lui faire part de sa situation et de ses projets.
Road-movie au milieu du choléra
À mi-parcours, le film prend la forme d’un road-movie. Angelo retrouve Pauline au moment où Maggionari, victime lui-aussi du choléra, meurt sous leurs yeux. Il est désormais débarrassé de ses poursuivants. Avec des resserrements, des déplacements ou des suppressions, la plupart des épisodes, des rencontres et des événements saillants qui vont rythmer le voyage du couple Angelo-Pauline en direction de Théus, sont ceux du roman. Mais le scénario ne s’interdit pas l’invention de plusieurs séquences pour tendre l’action, la relancer, la concentrer ou la rendre plus spectaculaire. Après s’être retrouvés, Angelo et Pauline font face à un barrage tenu par des dragons, qui veulent les obliger à faire demi-tour. Dans le roman, ils mettent à profit leurs qualités de cavalier pour ruser et s’esquiver sans trop de difficultés. Dans le film, ils forcent le barrage établi non plus sur une route mais sur une rivière, en fonçant face au soleil, qui en éblouissant les militaires va les rendre incapables d’ajuster leur tir sur les deux fugitifs. Le scénario pimente la relation entre les deux personnages, en y introduisant de ces querelles passagères entre homme et femme, fréquentes dans les films de Rappeneau : sortie d’affaire, Pauline fait montre d’indépendance et décide de se séparer d’Angelo pour poursuivre seule sa route vers Théus : chacun son chemin. Séparation de brève durée : Angelo se lance à sa poursuite et la rejoint juste à temps pour la dissimuler à une troupe de dragons en patrouille. Entre chaque épisode, les chevauchées du couple lancé au galop dans d’immenses paysages donnent au film sa couleur western.
Retour à la lettre du roman avec l’épisode du corbeau, qui « roucoulait comme une colombe », sur lequel Pauline a tiré un coup de pistolet après qu’il se soit approché d’elle jusqu’à lui donner un coup de bec au visage. Le personnage du colporteur-marchand de tisane (Jean Yanne), rencontré un peu plus tard, est plus poussé que dans le roman. Rappeneau le fait s’abriter sous un grand parapluie bleu, clin d’œil à Giono, qui avait choisi de dissimuler sous le même accessoire le colporteur qui propageait l’épidémie de choléra dans son court-métrage Le Foulard de Smyrne. Le marchand de tisane intervient dans l’épisode, totalement inventé par les scénaristes, qui suit sa rencontre avec le couple : la visite de Pauline chez Peyrolle, le maire de Montjay (Pierre Arditi), auprès duquel elle vient chercher des nouvelles de son mari, dont elle apprend qu’il est parti à Manosque pour la retrouver. Avec une ironie très voisine de celle de Giono dans Le Moulin de Pologne, cette longue séquence de dix minutes stigmatise la lâcheté et l’absence de générosité de la petite bourgeoisie bien-pensante du cru qui, affolée à l’idée que Pauline et Angelo puissent être porteurs du choléra, fait appel à l’armée pour les arrêter. À la différence du roman, où ils se font arrêter ensemble, c’est une nouvelle querelle de couple qui va provoquer l’arrestation de Pauline seule par les dragons, qui la conduisent en quarantaine à la forteresse de Vaumeilh (la citadelle de Briançon offre ici son décor grandiose). Elle a tenu tête à Angelo, qui voulait l’empêcher de retourner à Manosque pour y retrouver son mari. Dans un mouvement héroïque, bien dans le caractère du personnage de Giono, Angelo se présente à la porte de la forteresse pour la rejoindre. Dans le roman, ce sont les réflexions intérieures d’Angelo qui caractérisent cet épisode, avant que les deux personnages ne s’évadent par la ruse dans une démarche totalement individuelle. Dans sa mise en scène, Rappeneau traite la quarantaine de manière beaucoup plus spectaculaire. Il y introduit un personnage avec lequel Angelo et Pauline feront, dans le roman, un bout de route après leur évasion : un clarinettiste de l’Opéra de Marseille qui joue les danses allemandes de Mozart. Mais, c’est surtout le traitement de l’évasion qui diffère : en mettant le feu à la salle de la forteresse où plusieurs dizaines de personnes sont retenues en quarantaine, Angelo permet une évasion collective à la faveur d’un gigantesque incendie, qui déborde les militaires gardiens du lieu.
Amour et choléra
Le treizième et avant-dernier chapitre du roman disparaît complètement du scénario. Sous les traits d’un vieux médecin retiré de tout, qui accueille Angelo et Pauline repartis sur la route, Giono développe une extraordinaire théorie du choléra, « maladie de grands fonds » et « sursaut d’orgueil », qui « ne se transmet pas par contagion, mais par prosélytisme ». Le couple héroïque écoute la leçon de sagesse matérialiste de ce « pessimiste joyeux » : « Le seul moyen de vivre, c’est de refuser l’ivresse de la mort. Le choléra n’est pas une maladie, c’est une peur de vivre. »
En revanche, les quelques pages qui constituent le dernier chapitre sont amplifiées et magnifiées dans le film par la fusion de deux moments différents du roman. Rappeneau ne situe pas le choléra de Pauline en pleine nature comme le fait Giono, mais dans le cadre romantique d’une demeure aristocratique, qui semble abandonnée au cœur d’une forêt profonde, battue par la pluie : « forêt de légende », indique le scénario. C’est l’aboutissement d’un autre mouvement du film, dont la première partie se déroulait dans des paysages arides et inondés de soleil. Partis des terres blondes et sèches du Sud, les personnages progressent vers des paysages alpestres de plus en plus sauvages, verts, pluvieux et humides, au fur et à mesure que le sentiment amoureux s’approfondit en eux. La neige fera même son apparition dans les dernières images.
Au chapitre douze du roman, Angelo et Pauline font étape dans une maison des bois, où ils dorment après avoir passé la soirée à boire plusieurs bouteilles de vin trouvées sur place. L’ivresse légère qui s’empare d’eux les pousse à se questionner sur leur vie passée et à se raconter l’un à l’autre devant un feu de cheminée : Pauline parle de sa première rencontre avec son mari, Laurent de Théus, un aristocrate plus âgé qu’elle ; Angelo parle de sa mère et de son séjour à Aix. En entrant dans la maison, ils ont remarqué la présence d’un candélabre, qui leur rappelle celui que Pauline avait à la main lors de leur première rencontre à Manosque.
Dans la dernière grande séquence du film, avant que ne se déclare le choléra de Pauline, le scénario reprend plusieurs éléments de cette nuit du chapitre douze, dont il accentue la couleur romantique, en faisant revivre aux personnages leur première rencontre. Au centre du décor, un immense escalier tournant, sans doute inspiré par une réflexion d’Angelo se souvenant dans le roman de la maison de Pauline à Manosque : « Le choléra est pour moi un escalier que je monte ou que je descends sur la pointe des pieds pour me trouver devant une porte entrebâillée que je pousse, et il me faut enjamber une femme dont il ne reste plus que les cheveux, un cadavre en casque à mèche ; ou des linges pas beaux à voir. » Tandis qu’Angelo cherche du vin à la cave, Pauline est montée à l’étage. Autre belle invention du scénario : à la lueur du candélabre, elle s’est vêtue d’une robe trouvée dans une armoire, robe tout à fait semblable à celle qu’elle portait à Manosque. Devant le grand feu de cheminée, ils passent une partie de la nuit à boire. Fatiguée, Pauline monte le grand escalier pour aller se coucher, mais l’accès de faiblesse par lequel se manifeste la maladie est plus spectaculaire que dans le roman. Arrivée au milieu de l’escalier, Pauline titube et lâche le chandelier allumé, qui tombe en contrebas dans une vasque. La suite de la séquence, où Angelo sauve Pauline, se déroule conformément au récit de Giono. À son réveil, Pauline sauvée tutoie Angelo pour la première fois, « comme s’il avait été son amant, car à son point de vue elle s’est donnée », écrit Giono dans son propre scénario du Hussard. Même réplique dans le roman et le film : « C’est moi qui t’ai couvert. Tu avais froid. »
Arrivée à Théus
Il ne reste plus à Angelo qu’à accompagner Pauline convalescente jusqu’à son château de Théus. Rappeneau met en scène cette séquence en s’inspirant de l’iconographie romantique des récits médiévaux, auxquels le roman de Giono a pu être comparé : allongée sur un chariot bâché, Pauline, telle une reine escortée par un jeune chevalier, revient chez elle retrouver son mari, son roi. Pour représenter le château de Théus, Rappeneau a fait le choix significatif du château de Menthon-Saint-Bernard en Haute-Savoie, une ancienne maison forte du Xe siècle, restaurée au XIXe siècle dans un style néogothique. À la différence du roman, où Laurent de Théus est absent de son château quand Pauline y arrive, il apparaît dans le film sur un cheval au galop, venant au-devant de sa jeune épouse sous les yeux d’Angelo, qui ne séjournera pas quelques jours au château comme dans le roman, avant de « sauter les montagnes pour tomber comme un lion dans les combats italiens » (Giono).
L’épilogue
Le scénario ajoute au récit de Giono un épilogue, construit sur deux voix off, celle de Pauline et celle d’un narrateur (Jacques Weber), qui laisse ouverte la possibilité que les deux personnages se retrouvent un jour pour vivre pleinement leur amour. Pauline écrit à Angelo, faisant allusion dans sa lettre aux combats révolutionnaires dans lesquels elle devine à juste titre le hussard engagé. C’est le sujet du roman Le Bonheur fou de Giono. Nous la retrouvons ensuite à Aix-en-Provence se promenant avec des amies, sous les yeux de son mari, qui a compris bien avant elle « que le temps n’effacerait pas le souvenir d’Angelo », nous dit le narrateur ; puis à la recherche de la maison qu’Angelo habitait à Aix. La réponse d’Angelo à Pauline arrivera des mois plus tard. Les derniers mots du narrateur sont inspirés d’une note que Giono avait prise en vue d’un projet de roman intitulé Pauline, où il aurait retrouvé son héroïne à la recherche d’Angelo en Italie. Le romancier écrit alors à propos de Laurent de Théus : « Il est vieux. Il comprend tout. Il ouvre sa main. Il laisse à Pauline la liberté d’aller rejoindre Angelo. »
Le scénario et les dialogues de Regain avaient beau être ceux de son roman, Giono devait se rendre à l’évidence : Regain était bien devenu un film de Pagnol et sa réussite tenait à cette réappropriation de l’œuvre originale par un véritable auteur de cinéma. Il en est de même pour Le Hussard sur le toit : le lecteur de Giono voit un film de Jean-Paul Rappeneau, en complète cohérence avec les autres œuvres de sa filmographie. Où est le problème ? Sauf pour quelques admirateurs fétichistes du roman ! La soi-disant et d’ailleurs impossible fidélité d’un film à la lettre et/ou à l’esprit de l’œuvre littéraire dont il s’inspire, n’a jamais été un critère de réussite.
Le roman de Giono regarde aussi bien du côté de Tristan et Iseult, du Tasse et de l’Arioste, que d’Alexandre Dumas et Stendhal. Le film de Rappeneau brasse les genres : film de cape et d’épée, road movie, western, comédie romantique. « Je vais au cinéma pour trouver ce que les autres arts ne peuvent me donner, pour voir des mouvements, des paysages », disait Giono. Mouvements et paysages, c’est ce nous offre l’adaptation galopante du Hussard sur le toit.
Si, comme le faisait remarquer Giono en 1961, le film est nécessairement « à côté » du roman qu’il adapte, c’est dans ce qui constitue cet écart qu’il faut chercher ses qualités, dans la manière dont, comme le dit Rappeneau, le cinéaste oublie le « père du roman » pour devenir le « père du film ». Et à partir de là, « tous les coups sont permis hormis les coups bas », écrivait Truffaut, qui ajoutait que dans une adaptation, étaient seulement inadmissibles « l’affadissement, le rapetissement, l’édulcoration ». Rien de tout cela dans le regard de Rappeneau sur l’œuvre de Giono et la luxuriante lecture visuelle qu’il en a donnée.
Jacques Meny