N’attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude

Avec ce titre particulièrement cynique, qui capte l’idée contemporaine que seule l’extinction de l’humanité peut désormais améliorer le cours du monde, Radu Jude poursuit son portrait de la Roumanie actuelle, capitaliste et post-totalitaire, dont il capte avec humour et cruauté les pires vicissitudes. Affinant ici la forme développée dans son précédent opus, l’exceptionnel Bad Luck banging or Loony Porn, il mêle librement les styles et les niveaux de narration qui construisent, par effet de collage, de collision et de fulgurance, un récit dense et inépuisable. Son héroïne, boule d’énergie et de lucidité perpétuellement en colère, traverse en voiture la ville de Bucarest. Elle observe et commente ce petit théâtre souvent misogyne, débordant d’agressivité et de bêtise, qu’elle caricature en s’inventant un avatar stupide et grossier sur les réseaux sociaux. En parallèle, elle recueille les témoignages de travailleurs devenus handicapés suite à des accidents du travail et devient le témoin d’une autre forme de violence. A travers elle et les situations qu’elle traverse, le réalisateur fustige le cynisme éhonté des multinationales, le racisme décomplexé, l’hypocrisie religieuse… et globalement la lâcheté et l’inconsistance humaines. Dans le même mouvement, et sans jamais se complaire dans les bons sentiments, il affirme haut et fort l’inébranlable dignité des exploités et des laissés pour compte, apportant juste ce qu’il faut d’humanité et d’empathie pour presque nous faire regretter que la fin du monde soit si proche.

Marie-Pauline Mollaret

Nu aștepta prea mult de la sfârșitul lumii Film roumain de Radu Jude (2023), avec Ilinca Manolache, Ovidiu Pîrșan, Dorina Lazar, Nina Hoss. 2h43