Publié le 18 juillet, 2023 | par @avscci
0Mission Impossible Dead Reckoning partie 1 de Christopher McQuarrie
C’est l’avis de beaucoup : la qualité des films adaptés de la série télévisée Mission Impossible baissait depuis que Christopher McQuarrie les réalisait. Ce qui faisait la singularité de cette saga d’action, à savoir adopter un style singulier pour chaque opus, à l’instar des suites d’Alien, n’était plus. Au film d’espionnage théorique (Brian De Palma), à l’action lyrique (John Woo), l’inflation de la narration (J.J. Abrams), l’esthétique ludique de certains dessins animés (Brad Bird), se substituait une forme plus standard avec Rogue Nation et Fallout tous deux réalisés par le cinéaste susnommé. Ces deux volets étaient certes honnêtes, ne manquant pas de bonnes idées de scénario, mais laissaient apparaître un certain essoufflement de la série en raison d’un style moins original. Ce nouvel épisode s’impose toutefois comme le meilleur mis en scène par ce réalisateur.
La première surprise de l’histoire est son antagoniste principal. Le vrai ennemi n’est pas un homme de l’ombre voulant imposer un nouvel ordre mondial, un sombre trafiquant, ou un vengeur, mais une intelligence artificielle perfectionnée, ayant accès à des données secrètes en un clin d’œil et pouvant pirater n’importe quel système. Cette entité est figurée par un cercle, rappelant les ordinateurs Alpha 60 d’Alphaville et HAL de 2001, L’Odyssée de l’espace. Les stries de lumière dessinant la forme circulaire au centre noire convoquent de manière pertinente l’art génératif. Une autre originalité du film, qui découle de ce choix, est la moindre importance accordée aux gadgets, rendus obsolètes non en raison de leur dysfonctionnement, comme dans le quatrième épisode, mais parce qu’ils sont dépassés par cette technologie panoptique suscitant nombre d’inquiétudes actuelles. Au début du film, nous voyons ainsi une armada de dactylographes transcrire sur papier les données numériques afin de les rendre paradoxalement moins volatiles. Pour prendre le contrôle de cette arme appelée l’Entité, les personnages, bons comme méchants, convoitent les deux morceaux d’une clef, qui tient donc lieu de McGuffin. Ce canevas cache en vérité un écheveau : d’innombrables péripéties, retournements de situation et économie d’explications compliquent la compréhension de l’histoire, qu’il nous est impossible de résumer. Se reposant sur l’aspect superpuissant de l’IA au centre du récit, le scénario fait trop confiance en la crédulité du spectateur. Difficile par exemple d’accepter qu’un personnage semblant parfaitement réel n’était en fait qu’un hologramme. Le film déroule néanmoins avec assurance et sans ennuyer l’habituel programme de la série : scènes d’action maximalistes, séquences de filature, jeux sur les faux-semblants, réminiscences hitchcockiennes.
Du point de vue de l’action, le film, tout en s’imposant sans surprise au-dessus du tout-venant, déçoit un peu lorsqu’il reprend certains morceaux de bravoure des volets précédents. Nous avions déjà vu la lutte sur le toit d’un train en route dans le premier (et dans Speed, Skyfall et le dernier Indiana Jones), le long travelling accompagnant Tom Cruise dans son sprint dans le troisième et la tempête de sable dans le quatrième. La poursuite en voitures dans Rome, si elle s’impose sans difficulté face à celle du dernier Fast and Furious, ne brille pas non plus par son originalité. L’idée d’handicaper les deux poursuivis en les liant par des menottes est reprise du James Bond Demain ne meurt jamais et est ici moins exploitée. Mais deux moments forts élèvent le film au rang de ce qu’il se fait de mieux dans le genre et surpassent toutes les scènes d’actions que McQuarrie a mises en scène auparavant. Le premier est une cascade particulièrement impressionnante, où le héros saute du haut d’une montagne avec une moto pour ensuite ouvrir un parachute afin de rejoindre un train en mouvement. Là, cadrage et montage s’harmonisent pour sublimer la performance et conférer, lors de cet unique moment, aération et grâce au film. Surtout, le découpage permet l’attestation de l’exploit en montrant l’acteur, filmé en contre-plongée, propulsé en arrière lors du déploiement de son parachute, tandis que la caméra continue sa chute à grande vitesse. Nous retrouvons à ce moment les traits du visage de l’acteur déformés par la vitesse, qui étaient déjà détaillés dans le combat final sur le toit d’un TGV dans le premier film, et qui ne sont plus ici le fruit d’un effet spécial, mais d’une chute effective, témoignage impressionnant de l’expérience extrême d’un corps. Vient ensuite la descente de plusieurs wagons du train à la suite de la destruction d’un pont. Les héros doivent remonter les compartiments un à un avant que ces derniers ne lâchent et les précipitent dans le gouffre. Astucieusement, la scénographie montre des divisions ayant leur propre esthétique (une cuisine, un restaurant) et dont les accessoires (meubles, ustensiles de cuisine, piano) viennent faire obstacle aux protagonistes, se projetant sur eux lorsque les voitures basculent. Ce Transperceneige vertical est la meilleure idée du film et constitue son moment le plus spectaculaire.
Si cette première partie du diptyque Dead Reckoning séduit davantage que les deux œuvres précédentes, c’est aussi parce que le style du cinéaste a gagné en élégance. Çà et là se trouvent de jolies idées graphiques tels ces halos de lumière blanche éclairant une bagarre dans une impasse ou ce couloir éclairé de bougies dans lequel court le héros. Le soin avec lequel sont écrits la plupart des personnages féminins ne semble pas relever d’un féminisme opportuniste. Diverses combattantes épaulent ainsi le héros ou luttent contre lui avec parité. Tout cela est en plus soutenu par un humour efficace, notamment lors du désamorçage d’une bombe pendant une séquence de filature dans l’aéroport d’Abou Dhabi, un des autres meilleurs moments du film.
Sans égaler les quatre premiers volets de la franchise, ce premier volet du diptyque convainc donc, et nous rend curieux du second. Tancrède Delvolvé
Mission Impossible Dead Reckoning partie 1 de Christopher McQuarrie, avec Tom Cruise, Harley Atwell, Ving Rhames, Simon Pegg, Rebecca Ferguson. 2h43