Publié le 5 décembre, 2024 | par @avscci
0Marmaille de Grégory Lucilly
Première bonne nouvelle : nous découvrons le premier film venant de la Réunion ayant une « large » distribution. Deuxième bonne nouvelle : le film n’a rien d’un produit pour l’exportation. Point ici de visite touristique au Piton de la Fournaise ni d’exotisme autour du créole. Troisième bonne nouvelle : c’est un bon film. Qu’est-ce que cela raconte ? Un segment de la vie d’un frère et d’une sœur adolescents rejetés de leur foyer par une mère irresponsable. D’un côté, il y a Audrey, venant tout juste d’avoir un bébé et de rompre avec le père de son enfant. De l’autre, il s’agit de Thomas, plus jeune, instable et rêvant de quitter l’île en gagnant un concours de breakdance. L’un et l’autre vont d’abord s’installer chez leur père, qu’ils connaissent à peine. Auparavant, ce dernier a délaissé leur mère et s’est marié avec une autre femme. Il vit maintenant avec deux autres enfants en ayant peu d’aide financière à leur proposer. Que faire dès lors ? Il s’agira pour les deux héros de se débrouiller pour trouver un autre logement et un travail en composant tant bien que mal avec les autres. Car se greffent au noyau de l’histoire une tante, l’ex d’Audrey qui revient à la charge, le tuteur de Thomas et une jeune femme dont il va s’éprendre.
Ce nouage est fait régulièrement de tensions : le frère et la sœur font pression sur l’assistante sociale pour ne pas aller dans un foyer d’accueil, la tante confronte sa sœur et en vient aux mains avec elle, Audrey fait comprendre à son ex qu’elle ne veut plus de lui, Thomas est agressé par d’autres adolescents… Les mots fusent, les portes claquent, des personnages en colère quittent la pièce. Au milieu de ce tissage, il y a Thomas, qui négocie mal avec ce tissage de conflits. Ses crises de nerfs lorsqu’il frappe les murs d’un espace exigu, ou ses improvisations de breakdance montrent une puissance de vie qui ne demande qu’à s’exprimer et à être sublimée. Cela fait partie des meilleurs moments du film. Le metteur en scène jongle habilement entre les points de vue de cet écheveau sans jamais entraver la clarté de son intrigue. Sa caméra est quasiment tout le temps à la hauteur des personnages, et s’arrête peu sur les paysages : le premier plan d’ensemble ne doit arriver qu’après un quart d’heure de film. Grâce à son style tonique, Marmaille est un film qui file droit, sans ennuyer, déroulant son récit captivant avec assurance.
Tout cela ne pouvait évidemment pas être crédible sans une distribution à la hauteur. C’est l’un des principaux points forts du long métrage que de réunir des acteurs tous excellents. Les interprètes sont dirigés à l’unisson, permettant à chaque personnage d’exister, bénéficiant d’un même regard empathique. Adroitement structuré, le scénario fait converger toutes les trajectoires dans un final où le montage s’accélère, dévoilant judicieusement un personnage resté jusqu’ici hors champ. Et dans ce tissu de motivations contraires, de jolies lueurs d’humanité émergent. Car la brutalité se noue parfois ici avec la tendresse : une claque peut se transformer en caresse. Les moments d’affection entre Thomas et son amoureuse, entre lui et sa sœur ou entre elle et son père, sont captés avec la même sensibilité. Et le vitalisme de ce film lui permet de se conclure par la lumière.
Tancrède Delvolvé
Film français de Grégory Lucilly (2024), avec Maxime Calicharane, Brillana Domitille Clain, Vincent Vermignon, Délixia Perrine. 1h32.