L’établi de Mathias Gokalp

Deuxième long métrage de Mathias Gokalp, L’Etabli adapte le roman éponyme et auto biographique de Robert Linahrt, afin de revenir sur une période mouvementée de l’histoire politique du 20eme siècle, celle des établis, ces jeunes gens brillants et politisés qui mirent leur carrière en suspens afin de « s’établir » dans un travail manuel, en usine, pour y préparer de l’intérieur la révolution qui devait prolonger et faire exploser les secousses de mai 68. Robert est donc un jeune philosophe à la fois fragile et passionné, confronté à une autre réalité, et qui va voir dans un plan social l’occasion de déclencher dans son usine la grève et le soulèvement tant espérés. Le prix à payer est néanmoins, comme souvent, plus lourd que prévu, et les questions bien plus nombreuses que les solutions. Le film entier se construit ainsi dans le point de vue de Robert, évacuant souvent le pathos pour mettre à nu, à travers une démarche personnelle et subjective qui devient vite universelle, des interrogations intemporelles sur l’engagement, les choix idéologiques, privés, et les conséquences. Robert veut avoir un impact sur le monde, et la mise en scène observe froidement, mais non sans compassion, la façon dont tout son univers se retrouve impacté, ou pas, par ses combats, décisions. S’est-il trop engagé ou pas assez, a-t-il modifié quoi que ce soit ? Le protagoniste reste finalement, évidemment, seul face à ses actes, doutes, et le film nous fait partager le ressenti précieux d’une existence dédiée, jusqu’à la folie, à une volonté forte jetée contre un objet inamovible, les autres.

Film français de Mathias Gokalp (2023), avec Swann Arlaud, Mélanie Thierry, Olivier Gourmet, Denis Podalydès. 1h57