Critique

Publié le 27 février, 2025 | par @avscci

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L’Énigme Velazquez de Stéphane Sorlat

Les documentaires sur l’art ont longtemps été l’apanage presque exclusif des musées, à l’exception notables de films d’auteur tels que Le Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot, une poignée de courts métrages d’Alain Resnais et Anselm : Le Bruit du temps de Wim Wenders. Le producteur Stéphane Sorlat boucle avec L’Enigme Velázquez une “trilogie du Prado” amorcée par Le Mystère Jérome Bosch (2016) et À l’ombre de Goya par Jean Claude Carrière (2018) de José Luis López Linares. Cet homme de goût a choisi cette fois de passer lui- même à la réalisation afin de célébrer l’un des maîtres de la peinture baroque en conviant à son chevet les plus grands esprits de la planète et avec la complicité inestimable de la coscénariste et monteuse Cristina Otero Roth, fidèle à cette entreprise depuis l’origine. Nul besoin d’être un spécialiste ni même un amateur éclairé pour apprécier la qualité de cette immersion dans un monde sous le signe de la splendeur qui est loin d’avoir dévoilé tous ses mystères. Pas question ici de laisser le spectateur à la traîne. Ce documentaire ambitionne de nous faire partager l’admiration de son auteur pour une école picturale qui figure dans les plus grands musées du monde sans que les visiteurs la contemplent en connaissance de cause. Sous prétexte qu’il fait partie de ces institutions qui n’ont pas besoin d’être à la mode pour rester accrochées aux cimaises les plus prestigieuses, l’art de Diego Velázquez n’est plus vraiment considéré comme un enjeu par les profanes, tant il a produit et tant ses œuvres sont exposées dans les collections permanentes du monde entier. Avec cette trilogie d’une rare intelligence, Stéphane Sorlat joue les passeurs sous le signe d’une générosité qui n’a d’égale que son souci de rallier à sa cause le public le plus vaste possible en revisitant un univers pictural en provenance du XVII e siècle. Pourtant, contrairement aux apparences, l’œuvre de Velázquez ne comporte que cent vingt toiles sur les cent soixante qu’il aurait peintes en quatre décennies dont une cinquantaine sont exposées au musée du Prado. C’est beaucoup par rapport à la production de Vermeer, mais peu comparé à ce que nous ont légué la plupart des artistes majeurs. À cette nuance près que cet héritage compte une proportion considérable de toiles universellement connues. C’est à travers ces œuvres que nous entraîne ce film d’amoureux qui évite toute pédanterie au profit d’un désir de partage. Dès lors, les différents intervenants contribuent à nous ouvrir des portes vers un art trop connu pour être vraiment familier, qu’il s’agisse de l’ex- conservateur des peintures espagnoles au Louvre Guillaume Kientz ou du peintre devenu cinéaste Julian Schnabel qui connaît mieux que personne les liens entre ces deux arts visuels. Avec en contrepoint la voix de Vincent Lindon qui nous guide à travers ces galeries. L’importance des artistes se jauge à l’influence qu’ils ont exercé sur leurs héritiers. Et là, il est question d’un jalon incontournable dont se sont réclamés des personnalités aussi différentes que Francisco Goya, Édouard Manet, Francis Bacon, Pablo Picasso et naturellement Salvador Dali, lequel affirmait dans sa mégalomanie délirante : « Il y a deux génies dans l’histoire de la peinture : Velázquez et moi ! » Des Ménines aux Fileuses en passant par La Vénus au miroir, Stéphane Sorlat établit des passerelles syncrétiques avec les autres arts qui vont d’une séquence de Pierrot le fou dans laquelle Jean-Paul Belmondo lit un texte d’Élie Faure à un extrait de la pièce de Luigi Pirandello Six personnages en quête d’auteur. Comme pour souligner la capacité de cette œuvre à susciter des débats passionnés. Toujours et encore.

Jean-Philippe Guerand

Film documentaire français de Stéphane Sorlat (2024), avec (les voix de) Vincent Lindon, Cristobal del Puey, Xavier Albertí, Javier Portús. 1h28.




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