Publié le 15 janvier, 2025 | par @avscci
0Le Quatrième Mur de David Oelhoffen
Au théâtre, le quatrième mur désigne cloison virtuelle située sur le devant de la scène, isolant celle-ci des spectateurs. Mais elle est virtuelle et ces derniers ne ratent rien de la représentation. Or il est justement question de théâtre dans le film de David Oelhoffen dont l’action se déroule au Liban lors de la guerre civile il y a quelque quarante ans. Nous accompagnons les pas d’un comédien et metteur en scène français qui par fidélité à sa parole s’est mis en tête de monter à Beyrouth des représentations d’Antigone (d’Anouilh) pour prouver que la culture pouvait triompher de tous les antagonismes et réconcilier les communautés ennemies. Un credo courageux mais assez peu réaliste, on le verra au fur et à mesure que l’étau de la guerre se referme sur les illusions humanistes de ceux de bonne volonté. Avec Le Quatrième Mur, David Oelhoffen nous prouve une nouvelle fois que les turbulences du monde le concernent au premier chef, en ce sens qu’elles révèlent les hommes (et les femmes) au moment où ils doivent jouer tapis. Pas besoin de connaître tous les tenants et aboutissants de cette guerre absurde où chaque communauté est elle-même morcelée en factions rivales pour goûter le film. Au contraire, l’opacité des enjeux nous permet de mieux partager la sidération de l’homme de théâtre confronté au fossé creusé entre l’art et le réel, même quand le premier puise son inspiration dans le second… Evidemment nous ne pouvons pas ne pas mettre le film en relation avec l’embrasement récent du pays des cèdres. Pour mieux mesurer la fragilité de ce quatrième mur entre la dureté du monde et sa représentation artistique. Le film est adapté d’un roman de Sorj Chalandon, qui fut grand reporter et qui mieux que personne peut témoigner de ce moment où le spectateur du monde devient acteur (ce qui est le cas de Laurent Lafitte dans le film). Chalandon reconnaît ne jamais c’être totalement remis de la découverte du massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila en septembre 1982, qui constitue par ailleurs l’acmé du film. Un film qui ne laisse décidément pas indemne. Un grand et beau film.
Yves Alion
Film français de David Oelhoffen (2024), avec Laurent Lafitte, Manal Issa, Simon Abkarian. 1h56.