Le Dernier Souffle de Costa-Gavras
Que Le Dernier Souffle, de Costa-Gavras nous parvienne que peu de temps après La Chambre d’à côté, le drame poignant signé par un Pedro Almodovar à fleur de peau, aux antipodes de ses provocations d’antan, ne peut que nous laisser pantois : pour le cinéphile, la mort est omniprésente. Mais en réalité les deux films sont très différents. Ne serait-ce que parce que celui de Costa-Gavras n’est pas le moins du monde centré sur deux individus, choisissant au contraire de rendre visite à toute une série de personnages très différents, mais liés il est vrai par leur proximité à la mort. Le fil conducteur du Dernier Souffle, qui peut d’une certaine manière être perçu comme un film à sketchs, c’est la complicité de deux hommes concernés l’un et l’autre par la fin de vie. Le premier parce qu’il est médecin dans une unité de soins palliatifs (son travail n’est pas de guérir, mais de faciliter le départ de ceux appelés à passer l’arme à gauche), le second parce que c’est un écrivain à succès qui s’intéresse d’autant plus au sujet qu’il a lui-même quelque inquiétude quant à son état de santé. De patient en patient, c’est en fait à une balade philosophique que nous sommes conviés, autour d’un sujet qu’il convient de dédramatiser (puisque la fin est inéluctable). On entre dans le film sur la pointe des pieds, on s’apprête à souffrir. Et de fait, si l’on ne rit pas (beaucoup) aux éclats, on finit curieusement par ressentir un certain apaisement. Car le cinéaste s’est glissé d’une certaine manière dans la peau du médecin qu’incarne Kad Merad : il nous rassure. Bien sûr, le nom du réalisateur de Z et de Missing est associé au cinéma politique dans ce qu’il a de plus généreux, notre homme n’ayant jamais cessé d’être soucieux de l’état du monde, et de la démocratie. D’aucuns seront sans doute tentés de se demander les raisons de ce pas de côté dans son œuvre. Sans doute le cinéaste qui est désormais nonagénaire se pose-t-il lui-même quelques questions sur la fin de vie. Mais la question n’en est pas moins politique, au sens premier du terme, puisque la perception de la mort par la société régit sa façon de vivre. Dès lors, on ne peut qu’être révolté par l’hypocrisie d’un monde qui préfère regarder ailleurs ou s’enfouir la tête dans le sable, sous couvert de pudeur ou de conviction religieuse. En fait, loin d’être mortifère et angoissant, Le Dernier Souffle est un bouillonnement de vie qui nous apprend à mieux regarder la mort en face. Dans les yeux et sans trembler.
Yves Alion
Film français de Costa-Gavras (2024), avec Kad Merad, Denis Podalydès, Charlotte Rampling, Karin Viard. 1h39.