Publié le 13 novembre, 2023 | par @avscci
0L’Abbé Pierre – Une vie de combats de Frédéric Tellier
C’est durant l’hiver 1954, alors que le froid tuait les sans-abris que l’abbé Pierre est devenu une figure médiatique majeure pour beaucoup de Français. Au point qu’un premier film lui a été consacré dès l’année suivante par Robert Darenne, Les Chiffonniers d’Emmaüs, avec André Reybaz dans le rôle principal. Il faudra attendre 1989 pour que l’abbé refasse surface au cinéma, toujours pour célébrer son action de 1954. Cette fois, c’est Denis Amar qui est derrière la caméra et Lambert Wilson devant. Il faudra donc attendre 34 ans de plus pour une troisième incarnation. Mais cette fois-ci, c’est toute la vie du grand homme qui nous est donnée à voir, depuis ses premiers pas ecclésiastiques chez les Capucins, avant-guerre, jusqu’à sa mort, en 2007, à l’âge respectable de 94 ans. Le film de Frédéric Tellier est donc une fresque traversant les décennies, une fresque à première vue assez convenue (toute l’histoire est racontée de façon strictement chronologique), mêlant les pages d’Histoire et des scènes du quotidien. Et c’est là que le film nous saisit. Car si les pages d’Histoire sont très correctement illustrées (son appel de l’hiver 54 ne pouvait pas ne pas figurer dans le film), les scènes intimes nous touchent énormément. Elles illustrent parfaitement les très humaines failles de cet homme au demeurant admirable. Qui a commis le péché de chair (nous ne lui reprocherons certainement pas) et a parfois douté de sa foi. Et qui, au-delà de son engagement sincère pour les sans-abris et autres crève la faim, a parfois eu la tentation de jouer les rock-stars. Mais, et même si cela n’a rien d’un scoop, il faut quand même attribuer une partie de la réussite du film à l’incroyable prestation de Benjamin Lavernhe dans le rôle-titre. Même si de toute évidence les maquilleurs qui ont su le rendre crédible à 30 ans comme à 90 sont également à applaudir furieusement. Le comédien, par ailleurs sociétaire de la Comédie-Française est de toute évidence l’un des très grands du moment. Chacune de ses scènes (et il ne quitte que très peu l’écran) est un plaisir. Plaisir redoublé quand il est accompagné par Emmanuelle Bercot, qui donne vie au personnage de Lucie Coutaz, dont le film nous apprend qu’elle a été la compagne de combat de l’abbé pendant des décennies. Cette femme n’était d’ailleurs pas religieuse, même si nous la voyons pour la première fois habillée en bonne sœur. Mais c’est pour les besoins de la clandestinité : elle fait, comme, l’abbé, partie de la résistance… C’est d’ailleurs une question qui pouvait se poser en entrant dans le film, celle de la place de la foi dans l’engagement de notre homme. Elle est présente, et certaines scènes un peu oniriques (et pas tout à fait indispensables) s’y réfèrent. Mais elle ne semble pas pour autant avoir été au cœur de sa vie et de ses combats. Son indignation devant les désordres du monde aurait sans doute été la même sans soutane…
L’Abbé Pierre est évidemment le film le plus ample et plus risqué de Frédéric Tellier. Mais il se situe dans la droite ligne de ses films précédents, qui confrontent tous des destins particuliers avec la nécessité de servir les autres. Ont ainsi été célébrés les policiers aux trousses d’un serial killer (L’Affaire SK1), les pompiers (Servir ou Périr), les agriculteurs luttant contre les pesticides qui les empoisonnent (Goliath)… Des films citoyens dont le cinéma français peut s’enorgueillir.
Yves Alion
Film français de Frédéric Tellier (2023), avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz. 2h13.