La Bête dans la jungle de Patric Chiha

En s’appropriant sans fausse pudeur la si célèbre nouvelle de Henry James, La Bête dans la jungle, Patric Chiha touche à une forme d’essence du 7éme art. Comme dans le récit originel, deux êtres attendent ensemble un événement dont ils ne comprendront la signification, et la tragédie, que trop tard. L’attente est donc le cœur et le moteur de l’histoire, et l’attente est, quoi qu’en disent les amateurs d’action mouvementée, est un état profondément ciné génique. Ici, elle se déploie dans une boîte de nuit parisienne, dans un mouvement qui démarre au cœur du disco, passe par les années sida avant de rejaillir dans la musique électro des années 2000. Anaïs Demoustier et Tom Mercier sont les deux personnages qui regardent et attendent ensemble l’événement, « la bête dans la jungle », censé tout changer. Qu’ils le fassent en contemplant une danse perpétuelle, changeante mais toujours filmée avec fascination par Chiha résume magnifiquement tout le propos de l’intrigue. Alors que chaque danseur devant eux, même le figurant le plus fugace, bouge telle une étoile et vit pleinement, jusqu’à la transe, son moment devant la caméra, les protagonistes regardent et contemplent l’art, la vie, la passion, qui s’écoule devant eux. Loin d’étouffer le film, le huis clos l’épanouit en faisant d’une boîte de nuit le conteneur d’un monde et de plusieurs époques, parfaitement rendues par seulement quelques touches qui parviennent à donner le sentiment d’une totale reconstitution. Avec cette boîte de nuit comme univers, et la danse comme la vie qui s’y écoule, Chiha livre à la fois la fresque d’un monde désormais disparu, et la vision d’une vie qui passe à côté d’elle-même. Qu’il le fasse en filmant des corps, immobiles ou dansants, traduit la dimension parfaitement cinématographique de son regard.

Pierre-Simon Gutman

Film franco-belge-autrichien de Patric Chiha avec Anais Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle ? 1h 43m. Sortie le 16 aout 2023.