Critique

Publié le 4 novembre, 2024 | par @avscci

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Juré n°2 de Clint Eastwood

Clint Eastwood a 94 ans. Son horloge biologique a beau être de béton armé, il n’est pas impossible que Juré n°2 soit l’un de ses derniers films. Si ce n’est le dernier. Si cela devait être le cas, alors chapeau l’artiste : il s’agit sans conteste de l’un de ses meilleurs de ces dernières années. A des années-lumière du précédent, Cry macho, nimbé de guimauve sans saveur. Le film démarre sur les chapeaux de roues, par une scène toute en rose, alors qu’un jeune homme bande les yeux de son épouse enceinte avant de lui faire découvrir la chambre aménagée de leur futur enfant. Habile transition : la justice est aveugle et c’est bien dans le cadre d’une cour d’assises que le film va pour l’essentiel se dérouler. Car le futur papa a été désigné comme juré dans le procès d’un homme accusé d’avoir tué sa compagne. Mais pour être débutant en la matière, notre juré n’aura de cesse de faire innocenter l’accusé. Et cela pour un motif imparable : il a de bonnes raisons de croire que c’est à un accident qu’il a lui-même provoqué un soir de pluie (et de beuverie) que la victime a succombé. Situation inconfortable on en conviendra… Et éminemment romanesque.

Mais le cas n’est pas pour autant inédit. Puisque Georges Lautner nous avait offert dès 1962 l’un de ses meilleurs films : Le 7è Juré. Avec Bernard Blier dans le rôle principal. Avec une différence de taille néanmoins : dans le film de Lautner (qui n’avait rien d’une comédie, la Lautner touch audiardisée, celle du Monocle noir, ne s’était pas encore imposée à l’ensemble de son œuvre), ce n’est pas un accident qui vaut au personnage central d’avoir du sang sur les mains (et des états d’âme), mais bien un meurtre, consécutif qui plus est à une tentative de viol. Les raisons du double jeu du héros eastwoodien sont donc plus floues. Ce qui n’ôte rien au malaise, au flottement, à l’indécision qui guident le film. Nous suivons en parallèle l’avancée du procès, en nous intéressant au passage à la personnalité des différents jurés (qui conditionne leur vision du monde et par voie de conséquence leur opinion sur l’accusé), évident clin d’œil au génial Douze hommes en colère, de Sydney Lumet, et sans doute de façon moins volontaire à quelques-uns des films de la filière judiciaire de Cayatte. Et les fluctuations de l’humeur de notre homme…

Juré n°2 est sorti presque en catimini aux Etats-Unis. Pas de star à l’affiche, Clint Eastwood ne s’étant pas attribué de rôle. Et il n’est pas non plus l’un de ses films d’action qui cherchent à s’inscrire parmi les blockbusters du moment. En ces temps de manichéisme paroxystique au pays de l’Oncle Sam (l’élection présidentielle a lieu dans quelques jours), le film affiche même une modération et une subtilité sans doute peu commerciales, qui fait beaucoup de bien. Clint Eastwood a de tous temps beaucoup mis en avant la question de la culpabilité, qui bien entendu a vocation à être dissimulée, à l’instar de celle du président des Etats-Unis lui-même dans Les Pleins Pouvoirs. On se souvient aussi il y a peu de l’excellent Cas de Richard Jewell, retraçant l’histoire (vraie) de ce flic accusé (à tort) d’être le terroriste ayant fait exploser une bombe pendant les J. O. d’Atlanta. Juré n°2 est un peu à cet égard son reflet inversé puisque le (sans doute) coupable n’est pas suspecté une seconde. Jusqu’à la dernière image du film, qui reste en suspens… Juré n°2 n’est pas un film d’action, on l’a dit, ce n’est pas véritablement un film à suspense (en dépit de la publicité qui lui est faite), mais sa teneur est puissamment dostoïevskienne. Que celui qui est très longtemps resté scotché à l’image de l’Inspecteur Harry finisse (peut-être) sa carrière par un film sur le doute, l’indécision, la part floue des êtres ne fait que nous le rendre davantage sympathique. Et confirme qu’il est bien l’un des plus grands cinéastes américains de ces dernières décennies. A déguster sans modération…

Yves Alion

Juror #2. Film américain de Clint Eastwood (2024), avec Nicholas Hoult, Toni Collette, J. K. Simmons, Kiefer Sutherland. 1h54.




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