Critique

Publié le 1 avril, 2025 | par @avscci

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Jeunesse (les tourments) de Wang Bing

Wang Bing est un cinéaste de la durée qui se donne systématiquement les moyens de ses ambitions. Jeunesse constitue à ce titre une trilogie majeure dont les pans se complètent et se répondent. Il s’y attarde sur la vie quotidienne de ces petites mains qui s’activent dans des ateliers de confection à transformer des coupons de tissu en vêtements à destination de la Fast Fashion. Ces trois heures trois quarts constituaient sans doute le prix à payer pour évaluer la monotonie de ce travail à la chaîne abrutissant et répétitif dans lequel s’abîment les espoirs ténus d’une génération sacrifiée. Des jeunes gens dépourvus d’idéal qui s’usent pendant des mois sur des machines à coudre avant de retourner au bercail où le peu d’argent durement gagné servira à nourrir une famille coupée à la fois du progrès et du profit. Une masse corvéable à merci que le réalisateur a filmé à plusieurs caméras au long cours afin de montrer la répétitivité de ses tâches, dans une atmosphère de fausse insouciance où des blagues de potaches apparaissent comme la politesse du désespoir. Contrairement au premier et au dernier films du triptyque (dont la sortie est prévue l’été prochain), Jeunesse (les tourments) reste focalisé sur ces ateliers crasseux et ces dortoirs spartiates, avec pour seuls dérivatifs des écrans de smartphones et des conversations puériles au cours desquelles pointe l’immaturité de ces esclavages modernes. Avec aussi l’image saisissante de cet ancien combattant désabusé, allongé dans la pénombre, qui relate des émeutes réprimées dans la violence. Cette trilogie est aussi en ce sens l’autopsie d’un empire concentré sur l’économie dont on découvre ici la salle des machines bien peu reluisante. À voir impérativement avant de faire son shopping.

Jean-Philippe Guerand

Qingchun : Ku. Film documentaire franco-luxembourgo-néerlandais de Wang Bing (2024). 3h46.




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