Jeunesse en sursis de Kateryna Gornostai

C’est probablement ça, la magie du cinéma : partir d’une histoire un peu rebattue (en l’occurrence, la dernière année de lycée d’une bande d’adolescents bien ancrés dans leur époque) et donner l’impression qu’elle n’avait jamais été racontée. A quoi cela tient-il ? En premier lieu à la délicatesse d’écriture de la réalisatrice, l’Ukrainienne Kateryna Gornostai, dont c’est le premier long métrage de fiction. Nourrissant son scénario et ses personnages de ses échanges avec les comédiens non professionnels qui jouent les différents lycéens, elle propose un portrait de groupe dont la justesse stupéfie, et dont l’absence de clichés à l’emporte-pièce (sur la répartition des rôles entre élèves “cool” et élèves “marginaux”, notamment) ravit. Faisant l’impasse sur les grands enjeux dramatiques propres à ce type de film, l’intrigue peut alors se concentrer sur les réalités souvent ténues de l’univers adolescent, y compris intime et intérieur. Quitte à s’autoriser, au détour d’une séquence, des parenthèses presque hors du temps qui permettent aux personnages, pourtant nombreux, de s’incarner tour à tour. Il en ressort une forme de douceur (malgré des contextes parfois âpres) et de légèreté lumineuse qui évite aussi bien le misérabilisme facile et spectaculaire que le happy end de circonstance. Manœuvrant loin de tout manichéisme, et porté par un casting irréprochable (avec en tête l’inoubliable Maria Fedorchenko qui interprète l’héroïne principale), Kateryna Gornostai livre un instantané saisissant de cette jeunesse dont le titre du film, modifié a posteriori, vient nous rappeler qu’elle a été irrésistiblement prise, depuis le tournage, dans le tourbillon tragique de la guerre.

Marie-Pauline Mollaret

Stop Zemlia. Film ukrainien de Kateryna Gornostai (2021), avec Maria Fedorchenko, Arsenii Markov, Yana Isaienko, Oleksandr Ivano. 2h02