Critique

Publié le 16 novembre, 2023 | par @avscci

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Hunger Games, la Balade du serpent et de l’oiseau chanteur de Francis Lawrence

L’éprouvante vague de films dits YA (young adult) adaptés de romans destinés à un public adolescent avec une (très) vague prétention adulte est heureusement en perte de vitesse, après Twilight, Divergente, Le Labyrinthe et autres nombreux exemples passés plus inaperçus. D’où l’interrogation sur la pertinence d’une préquelle aux aventures de Katniss Evergreen (alias Jennifer Lawrence) huit ans après la fin de ses aventures en tant qu’ennemie jurée de ces « jeux de la faim » ouvertement calqués sur ceux du bien plus sombre et autrement cinématographique Battle Royale. Le film de Kinji Fukasaka interrogeait avec profondeur l’impact de la violence des actions commises par ses protagonistes, alors que ce remake officieux l’édulcorait de façon problématique pour ne pas heurter les jeunes spectateurs ciblés, ô si sensibles. C’est donc avec circonspection qu’on allait découvrir ce nouvel opus – situé soixante ans avant le premier – qui fleurait bon l’opportunisme commercial…

Le prologue se déroule à l’aube de la naissance de ces jeux du cirque télévisés dont les participants sont des adolescents. Coriolanus Snow était le grand méchant de la trilogie d’origine (avec une dernière partie artificiellement découpée en deux chapitres), joué alors par le vétéran octogénaire Donald Sutherland qui semblait se délecter de son rôle de Président dictateur. On le découvre ici enfant apeuré, avec une grand-mère aux faux airs de Rose Kennedy dans ses rêves de faire de ses enfants puis de ses petits-enfants les leaders de la nation, quitte à les détruire au passage. Le rôle du gamin est déterminé dès la naissance par cette mater familias : il sera un grand homme, c’est sa destinée, et remplacera son père, tombé en disgrâce. Quelques années plus tard, alors que mamie manifeste des troubles cognitifs, il est à l’aube de la vingtaine. Il peine à se nourrir et à se vêtir aussi dignement que le réclame son rang mais reste admis au sein de l’élite du Capitole. Car lorsqu’on fait partie d’une aristocratie, on fait toujours partie de l’élite, même si on est relégué à sa marge.

À contre-cœur, il doit accepter le poste de tuteur de Lucy Gray Baird, candidate du District 12 – le plus pauvre de Panem – lors de la dixème édition des Hunger Games. Son but est de se servir d’elle pour grimper à nouveau l’échelle sociale et il sent le potentiel de sa disciple pour charmer le public avec sa voix et son tempérament rebelle. Interprétée par Rachel Zegler (clairement engagée pour faire entendre sa voix découverte dans le West Side Story version Steven Spielberg), elle devient une rebelle utile pour relancer les scores d’audience d’un divertissement en perte de vitesse après quelques années de diffusion, les spectateurs s’étant déjà lassés de regarder des jeunes mourir devant leur écran. Il y a donc une ironie certaine à voir que son attitude hostile devient un facteur attractif pour relancer les audiences et donc causer plus de tragédies. Lorsque le scénario embrasse cette ambiguïté idéologique, il se fait moins anecdotique que les épisodes précédents où cela restait situé au niveau d’ébauche. Ici, c’est plus frontal, et donc bien plus intrigant.

On sent que la révolte de Lucy va exploser dans une nouvelle suite – la conclusion restant évidemment ouverte – mais l’intérêt de cet affrontement annoncé devrait être très limité, tant on devine que cette révolte sera une rébellion bien gentille de blockbuster anonyme. Le point très positif du film, c’est que ces jeux et celle qui aurait pu être une héroïne trop parfaite sont finalement relégués à une place très secondaire. Celle-ci se cache quasiment tout le temps, ne se bat pas, d’autres candidats se réservant le sale boulot d’éliminer la concurrence – avec une brutalité inattendue pour un film grand public – et être le dernier survivant ou la dernière survivante. L’arène est plus rudimentaire – un décor unique, en ruines après une attaque de la « Résistance » – et les épreuves sont plus artisanales que dans les trois premiers films, ce qui en accentue l’intérêt.

La grande bonne idée du film est d’avoir fait du personnage de Corolanius Snow le personnage central. Grâce à lui, le récit est d’une étonnante complexité, avec un parcours chaotique d’anti-héros qui semble hésiter entre le bien et le mal mais sa quête de reconnaissance s’avérera bien plus importante que de sauver sa famille de la famine ou que de changer le monde. Sa folie des grandeurs est assez subtilement traitée dans les deux premiers tiers du récit, on la devine nettement mais il pourrait aller autant vers le bien que vers le mal. On le sent tiraillé entre son envie de sortir de la misère qu’il cache, sa honte d’être un aristocrate désargenté et l’envie de soutenir son ami Sejanus, autre jeune membre de la classe dominante, seul à réclamer ouvertement l’abolition de ces jeux du cirque cruels. Par la nuance de son jeu, Tom Blyth (une découverte) règle ses pas sur ceux de l’immense comédien qui l’a précédé et rend crédibles ces tourments psychologiques. Il contribue grandement à la relative réussite de ces aventures dystopiques. La dernière partie semblait promettre d’aller encore plus loin dans la noirceur philosophique et politique, avec son exil dans un cadre fasciste dépeint comme tel, exploré et observé par un personnage montré comme presque héroïque mais dont on sait qu’il deviendra un authentique monstre. Hélas, la complexité disparaît soudain de façon expéditive dans la façon qu’il a de se trahir devant sa promise jusque-là persuadée qu’il pouvait être un homme bon malgré ses parts d’ombre. La vilenie de Snow se dévoile alors avec un rebondissement médiocre sorti d’une mauvaise série B. Même si ce passage est mis en scène avec un décalage onirique déroutant, cela atténue la portée d’un film qui a failli être agréablement bien plus trouble. Francis Lawrence, réalisateur de presque tous les épisodes à l’exception du premier, passe ainsi à côté d’une vraie réussite.

Pascal Le Duff

The Hunger Games: The ballad of sangbirds and snakes. Film américain de Francis Lawrence (2023), avec Rachel Zegler, Hunter Schafer, Tom Blyth. 2h38.




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