Critique

Publié le 26 novembre, 2024 | par @avscci

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Grand tour de Miguel Gomes

 Oeuvre foisonnante, passionnante et frustrante à la fois, Grand Tour est construit sur une dualité systématique qui lui sert à la fois de programme et de limite. Réunissant des images documentaires filmées lors d’un voyage en Asie en 2020 et des séquences de fiction tournées a posteriori en studio (censées se dérouler en 1918), le nouveau film de Miguel Gomes embrasse deux points de vue (celui du personnage masculin fuyant jusqu’aux confins de l’Asie sa fiancée qui vient pour l’épouser, celui de ladite fiancée qui le poursuit inlassablement), deux tonalités (de la comédie burlesque au drame) et deux rapports à une narration qui passe plus souvent par les voix-off que par ce qui se déroule à l’écran. Sur le plan cinématographique, c’est brillant de bout en bout, avec un recours systématique à des effets formels qui travaillent le cadre et l’hors-champ, et rappellent ceux de l’expressionnisme. Sur le fond, c’est parfois plus bancal, comme si arrivé à un certain point de son histoire, le cinéaste s’enlisait un peu dans son concept. On ne sait notamment pas trop quoi faire de son rapport à l’exotisme et au pittoresque (prégnant dans certaines séquences de rue, ou les interludes de marionnettes ou de théâtre d’ombre), sans parler de la colonisation qui devient un élément de décor parmi d’autres, et sur lequel le film ne porte au fond pas un regard très acéré. Comme si Miguel Gomes privilégiait l’approche romanesque et formaliste sans vraiment se soucier de s’en extraire pour lui ajouter un sens plus profond. Dans cette relation ambiguë entre Asie contemporaine et Asie imaginaire, on a ainsi le sentiment de faire un “grand tour” géographique ludique et espiègle, mais de passer un peu à côté du “grand tour” émotionnel auquel le cinéaste nous avait habitué dans ses œuvres les plus marquantes, de Tabou aux Mille et une nuits.

Marie-Pauline Mollaret

Film portugais de Miguel Gomes (2024) avec Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Cláudio Da Silva, Lang-Khê Tran… 2h08.




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