Publié le 15 octobre, 2020 | par @avscci
0Entretien – Maïwenn à propos d’ADN
ADN permet à Maïwenn de renouer avec une veine autobiographique, qui lui avait particulièrement bien réussi quatorze ans plus tôt, quand Pardonnez-moi avait déboulé sur les écrans, ne laissant personne indifférent. Maïwenn y réglait visiblement ses comptes avec des parents responsables de cicatrices qui ne semblaient pas devoir se refermer. ADN débute lorsque s’éteint un grand-père aimé dans une maison de retraite sordide (mais n’est-ce pas l’essence de ces mouroirs aseptisés ?), rebattant ainsi toutes les cartes du jeu familial. Pour Neige, le nom immaculé que Maïwenn a donné au personnage qu’elle incarne, son double, la disparition de son aïeul, algérien de naissance, ravive la question de ses racines. La jeune femme va affronter le temps d’un film toutes ses tempêtes intimes pour retrouver les traces de ses origines…
Des traces que beaucoup jugeraient accessoires, mais qui de toute évidence revêtent une importance vitale pour notre héroïne (et n’en doutons pas pour la cinéaste). Maïwenn possède une personnalité unique, qui peut irriter autant que séduire : elle est spontanée, vive, parfois brutale, elle abhorre les faux-semblants. Ses films sont à son image : parfois malaisants, ils nous titillent avec une belle efficacité les sens et l’esprit comme peu de films savent le faire. Ils s’insinuent en nous pour nous procurer le sentiment d’être vivants, sensibles, attentifs aux autres. Le cinéma de Maïwenn est paradoxal : il semble déboucher comme un torrent de montagne, impulsif, désordonné. Pour au final nous cueillir par l’intelligence de ses dosages, entre rires et larmes, entre désordre apparent et maîtrise de son propos.
ADN nous fascine peut-être encore plus que ses films précédents tant la cinéaste se livre sans filet à un jeu de la vérité que l’on peut trouver impudique. Sauf que bien sûr ce n’est pas elle que nous voyons à l’écran, mais son personnage, dont la famille n’est pas comparable à la sienne. Sauf que nombre de détails semblent tellement vrais… Démêler le vrai du faux n’a au demeurant qu’un intérêt limité, d’autant que tout n’est jamais totalement vrai ni complètement faux. Et ce que l’on ressent n’est pas toujours comparable à ce que l’on vit… Mais ce jeu possède une force qui nous fascine, et Maïwenn de jouer les funambules sur un fil au risque de se rompre le cou, jouant à se mettre en danger pour mieux éclater de rire en arrivant au port. Le maelstrom de la vérité, des apparences, des convenances sociales et des élégances narratives débouche en tout cas sur un cinéma unique, qui vibre et nous dévore. Du grand art…
La nécessité de la mémoire semble être l’axe central d’ADN…
Maïwenn : Oui, c’est un thème que je voulais pouvoir approfondir. Comprendre ce que les morts nous transmettent, quel est le devoir de mémoire que les enfants et petits-enfants ont la charge de communiquer, etc. C’est salutaire pour les générations à venir, pour la santé de nos aïeux et de nos enfants que de savoir parler de ce qui est en nous, malgré nous. Je pense qu’en étant enfants, voire même petits-enfants d’immigrés, nous sommes toujours porteur d’un ADN qui a une histoire. En ce qui me concerne, je n’ai pas connu la colonisation en Algérie, pourtant, en ayant grandi avec une mère algérienne et un père français, avec cette mixité, j’ai ressenti la colonisation via leurs caractères, leurs combats, leurs rages. Que nous le voulions ou non, tout cela se transmet, alors autant apprendre, comprendre, décortiquer l’Histoire. Plus nous connaissons l’Histoire, plus nous comprenons également l’actualité.
Si vos racines provenaient plutôt de la France profonde, remontant depuis le XVIIIe siècle, le devoir de mémoire aurait-il été le même ?
M. : Dans ADN il est question de l’Algérie, mais lorsque les spectateurs voient le film, ils adaptent l’histoire à leur propre situation. Nous sommes tous les dépositaires d’une histoire, quelle que soit notre origine. L’ADN semble plonger plus profondément en nous que la mémoire immédiate. Au contact de nos grands-parents, par exemple, nous pouvons retrouver des choses que nous n’avons pas vécues mais qui font quand même parties de nous… Mon personnage se rend compte qu’elle est passée à côté de ce qu’elle avait construit : « J’ai passé plus de temps à m’occuper de ceux qui m’avait détruite que de ceux qui m’avaient construite ». Je ne dis pas cette phrase dans le film, mais je voulais que le spectateur puisse la ressentir.
En réalité, tous vos films tournent autour de la question de l’identité…
M. : Je ne saurais pas répondre à cela, en revanche je me suis fait la réflexion que mes fins étaient toutes identiques. Mes films se terminent toujours mal mais on sent qu’une page se tourne et que le soleil se lèvera de nouveau.
De toute façon, soleil et brouillard se chassent mutuellement dans tous vos films en permanence…
M. : En effet, dans Pardonnez-moi, le personnage sait qu’elle n’aura jamais le pardon de son père mais elle apprend à vivre autrement, elle arrive finalement à tourner la page. Dans Le Bal des actrices, la protagoniste récupère son couple et dans Polisse, même si le film se termine sur un suicide, un enfant arrive quand même à se reconstruire. En ce qui concerne Mon roi, la femme finit par trouver un nouveau sens à sa vie, et enfin dans ADN, si le film se termine sur la mort de quelqu’un, c’est aussi le début d’une nouvelle vie pour mon personnage. Il faut savoir parler des choses tristes avec beaucoup d’humour et de positivité.
Comment pensez-vous que l’on puisse hiérarchiser toutes les questions douloureuses que nous nous posons ?
M. : Pour ma part, c’était tellement compliqué que je n’arrivais pas à faire de hiérarchisation. Il fallait déjà que je puisse y voir plus clair avant de pourvoir identifier les questions que je me posais. Or, j’étais dans un tel brouillard, que je ne voyais rien. Ce qui m’apaisait c’était d’en apprendre plus sur l’Algérie.
Choisir de terminer votre film sur des images d’Alger, était-ce important ? Aviez-vous besoin de vous immerger physiquement dans cet environnement pour rendre concrète cette mémoire ?
M. : Oui, c’était important de terminer le cheminement de mon personnage à Alger. Elle retrouve alors des sensations liées à son enfance, aux plus belles années de sa vie. Lorsque son grand-père est décédé, elle s’est beaucoup documentée et a pu revenir chargée de toute l’histoire de l’Algérie. J’ai la conviction que choisir son pays, être amoureuse de son pays, ça nous sauve la vie. Même si ce n’est absolument pas lié à notre ADN.
Comment avez-vous choisi vos comédiens, comment les avez-vous dirigés, sachant qu’il y a un réel ressenti vis-à-vis de vos parents ?
M. : Je fais une fiction, pas un documentaire. Je ne choisis pas des comédiens qui leur ressemblent, je les choisis parce que j’ai envie de travailler avec eux. Il y a une différence entre raconter sa vie et se servir de sa vie pour parler d’émotions que nous connaissons.
On vous sent écorchée vivre… Pensez-vous que ce que vous avez vécu, cette douleur, tout votre passé, ont été les déclencheurs de votre talent ? Qu’ils vous ont permis de faire des films avec autant d’acuité ?
M. : En ce qui me concerne, j’échangerais bien un peu de douleur pour moins de talent. Être écorchée vive comme ça, c’est un vrai problème, ça me pollue la vie.
Je trouve que l’on ressent de l’impudeur dans votre film, et ce faisant, est-ce que vous vous donnez des limites ou est-ce que vous choisissez d’abord d’ouvrir votre cœur, vos tripes, votre tête ?
M. : Je trouve qu’il y a des limites partout. Par exemple, je ne m’appelle pas Maïwenn dans le film, les personnes sont éloignées de ma famille, etc. Je sais que je porte une étiquette de cinéaste autobiographique mais ça ne me convient pas du tout. La limite de l’impudeur c’est de continuer à dire que, malgré tout ce que vous pouvez penser, c’est une fiction. Il y a peut-être une ou deux scènes vraiment semblables à ce qui m’est arrivé, sinon tout le reste est seulement inspiré de sentiments que je connais. La scène où lors de l’enterrement la mère se met en tête d’empêcher sa fille de dire le discours qu’elle a préparé, c’est un souvenir personnel par exemple. Mais je mets dans mes films tout ce que je n’ai pas le courage de faire ou de penser dans la vraie vie.
Mes films sont mes boîtes à fantasmes, mes boîtes à regrets, mes boîtes à courage. Parfois je grossis mes défauts, parfois je me donne plus de courage, donc ce n’est pas autobiographique.
A-t-il été simple de doser les moments tragiques et les sourires qui ponctuent le film lors du montage ?
M. : Ce qui a rendu le montage d’ADN difficile, c’était ma constante négativité. J’ai été beaucoup déçue, je pense avoir payé mes succès précédents, et me suis mise la barre tellement haute qu’à mon sens, tout était mauvais. Ma monteuse a eu marre de ma négativité, et m’a demandé de partir pendant un mois. Je suis allée en Algérie et quand je suis rentrée, elle m’a montré un très gros montage de 2h40 et j’ai trouvé ça super. À partir du moment où j’ai vu qu’il y avait un film, j’ai compris qu’elle avait raison et je me suis réconciliée avec mon œuvre.
Vous avez co-écrit avec Mathieu Demy, qui a un ADN peu commun (c’est le fils de deux géants du cinéma, Agnès Varda et Jacques Demy). Pourquoi cette nécessité de partager l’écrire avec un d’autre ?
M. : Mathieu est un ami. Lorsque nous nous voyons, nous sommes très intimes et nous abordons de nombreux sujets. Il venait d’enterrer sa mère quand il a appris que j’avais un nouveau projet, et il m’a proposé son aide. Notre collaboration était tellement intense, elle était pour moi comme la continuité de notre amitié. Mathieu a apporté beaucoup d’humour à mon scénario. Il m’a bousculée et ça m’a permis d’avancer. Je n’ai pas senti son cinéma pendant nos séances de travail, c’est lui qui est entré dans mon univers.
Dans Pardonnez-moi, vous dites à Aurélien Recoing : « Peut-on faire du cinéma qui intéresse tout le monde avec des histoires qui n’intéressent que soi et ses proches ? », et il apparaît que la réponse est « oui ». Diriez-vous toujours la même chose aujourd’hui ?
M. : Je pense qu’aujourd’hui, je formulerais la réponse différemment, mais elle resterait positive. Je pense que plus l’histoire est intime, plus elle est universelle. Tout le monde a des histoires à films.
Propos recueillis par Yves Alion et mis en forme par Camille Sainson
Réal. : Maïwenn. Scén. : Maïwenn et Mathieu Demy. Phot. : Sylvestre Dedise et Benjamin Groussain. Mus. : Stephen Warbeck. Prod. : Why Not Productions / Arte France Cinéma. Dist. : Le Pacte. Int. : Maïwenn, Fanny Ardant, Marine Vacth, Louis Garrel, Dylan Robert. Durée : 1h30. Sortie France : 28 octobre 2020.