Publié le 4 novembre, 2021 | par @avscci
0Entretien Guillaume Canet – Lui
On attendait Astérix (que Guillaume Canet a tourné, il est actuellement en post-production), mais la Covid et les confinements ont eu raison du planning établi. Condamné à l’inaction, notre homme a gambergé. Et imaginé un film plus léger (en termes de production), comme une récréation en attendant le retour des Gaulois. À l’instar de Rock’n’roll, et de façon sans doute plus diffuse, son tout premier opus, Mon idole, Lui appartient à une veine clairement autobiographique où le comédien cinéaste s’amuse à mêler le vrai et le faux, le délicat et l’énorme.
PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION
Son carburant est clairement l’autodérision. C’était évident dans son très pétaradant Rock’n’roll. C’est sans doute plus insidieux ou plus en demi-teinte dans Lui. Le personnage principal cette fois-ci ne s’appelle pas Guillaume Canet, et il n’est même pas marié à Marion Cotillard, comme dans Rock’n’roll, mais on subodore que c’est un autre soi-même qui a été invité à l’écran. Au final le film jouit d’une liberté insolente, qui explore la veine du théâtre de l’absurde, et convoque au passage fantômes et fantasmes, qui mélange les niveaux de narration sans jamais se prendre les pieds dans le tapis, porté par un dialogue aux petits oignons et des comédiens qui nous ravissent. D’aucuns jugeront le film un peu agaçant, ou franchement narcissique. C’est compréhensible. Mais Guillaume Canet l’assume. On ne dressera pas la liste des cinéastes qui, de Bergman à Woody Allen, ont signé des films admirables en se regardant le nombril. Mais s’il en est un auquel le film se réfère implicitement, c’est Bertrand Blier, ce qui ne nous gêne pas, et même nous ravit. Canet partage avec l’auteur des Valseuses son goût de l’absurde, des tête-à-queue narratifs et des personnages de Beckett qui se seraient égarés dans un film de Lautner…
On attendait Astérix, et c’est un peu son contraire qui déboule…
Guillaume Canet : Ce n’était pas prévu. La pandémie nous a effectivement arrêtés en plein milieu de la préparation d’Astérix. Je me suis dit que cela ne durerait pas et que l’occasion était belle de donner un peu plus de temps à la préparation. Je voulais peaufiner le découpage, préparer des animatiques, bosser sur le storyboard. Et j’ai fini par comprendre que la reprise ne serait pas pour le lendemain. Ça m’a filé un coup, je ne pouvais plus bosser. Je ne dirai pas que j’étais en dépression, mais quand même dans un état un peu bizarre, je me posais des tas de questions sur moi-même et sur l’état du monde. C’était assez introspectif. Je tournais en rond, parce que l’inaction me pèse. J’étais enfermé… avec moi-même. Je me suis rendu compte que j’avais bossé des années pour ne pas regarder ce connard qui était en moi. Je me suis levé un matin, et cela m’a pris comme une envie soudaine… J’ai ouvert mon ordinateur et j’ai tapé trois lettres à l’écran : LUI. J’avais envie de parler de cet autre moi-même qui me tire par moments vers le bas, qui me fait douter…
Vous êtes un peu schizo !
G. C. : Totalement. J’ai pris le taureau par les cornes et j’ai commencé à discuter avec cette personne. En me disant que cela pourrait peut-être déboucher sur une pièce de théâtre. J’ai commencé par écrire les scènes de la fin, autrement dit les conversations entre le personnage et son double. Au bout de quelques jours d’écriture, j’en ai parlé à Marion (Cotillard) et je lui ai demandé de lire. Elle m’a dit que c’était intéressant, que cela lui faisait penser à un poète perse du XIIIe siècle, Djalâl ad-Dîn Rûmi, et à l’un de ses poèmes, La Maison d’hôte. J’ai voulu le lire. Et je me suis rendu compte que c’était exactement cela que je voulais raconter. En deux mots il nous dit que chaque être humain est une maison d’hôte qui reçoit des visiteurs, qui sont autant d’émotions diverses, dont pas mal de contrariétés, la jalousie, la peur, le doute. Et il faut pouvoir les accepter, les laisser entrer, les considérer comme des guides venus d’ailleurs qui vont vous faire avancer dans votre vie.
Mais les deux personnages que vous incarnez à l’écran ne sont pas taillés d’un seul bloc, il n’y a pas un bon et un mauvais, c’est plus complexe…
G. C. : Bien sûr. La perfection est angoissante, et un double maléfique est évidemment nécessaire. Tout comme le doute, qui est indispensable à notre équilibre. J‘ai donc continué à écrire, et j’ai étoffé le récit en faisant intervenir des tiers. C’est à ce moment-là que m’est venue l’idée de faire vivre tout ce petit monde sur une île. Parce que c’est d’un côté un endroit isolé, battu par les vents, attaqué par la mer, avec une falaise infranchissable, et de l’autre un lieu accueillant, avec ses plages. Cette île tour à tour tumultueuse et calme pouvait se voir comme une métaphore du personnage.
Le film glisse doucement vers le fantastique. Le démarrage est sans doute un brin romanesque, mais relève d’un récit réaliste. Puis arrivent d’autres personnages, qui participent en fait à ses fantasmes…
G. C. : C’était effectivement le but. Le personnage débarque avec ses angoisses, qui prennent une place de plus en plus envahissante. Le piano désaccordé, les pièces inaccessibles, tout concourt à renforcer l’étrange.
N’est-il pas plus facile d’avoir un double quand on est comédien et qu’il a pour mission de se glisser dans la peau des autres, justement ?
G. C. : Probablement. Mais à mon sens tout un chacun peut ressentir la présence d’un double. Nous avons tous une part d’ombre. En ce qui me concerne, je ne me souviens pas en avoir jamais été privé.
Le personnage est musicien, c’est un artiste…
G. C. : Oui bien sûr. C’est un film qui parle de la création. C’est un film très personnel, même s’il y a beaucoup d’éléments qui ne font pas partie de ma vie. Ce que le film dit sur la mort, par exemple, fait partie de mon intimité. Quand on connaît mon parcours, on repère des allusions plus ou moins directes. J’ai pour de bon entendu mon père faire un infarctus derrière la porte… Le genre d’épisodes qui vous façonnent émotionnellement. Ce sont des choses que le film expose dont je n’avais jamais parlé auparavant. Rock’n’roll n’était pas sur le même registre, c’était une farce…
Une farce sans doute, mais qui nous parle quand même de déchéance, de la peur de ne pas y arriver….
G. C. : C’est vrai. Le film a d’ailleurs plutôt bien marché, parce que les gens se sont reconnus dans certains aspects du personnage. Je pense que Lui est plus personnel. Mais pour toucher les gens, il faut savoir parler de ce que l’on connaît.
Rock’n’roll est sans doute transposable dans d’autres métiers que le vôtre, alors que Lui parle spécifiquement de l’artiste. Qui peut avoir l’angoisse de la page blanche…
G. C. : Bien sûr. Et celle de la reconnaissance des autres. Quand sa femme est au lit avec lui et qu’elle lui dit en parlant de son pote : « Tu es un très bon compositeur, mais tu n’es pas un musicien comme lui », ça fait mal…
C’est une question qui vous taraude ?
G. C. : Évidemment. On a besoin d’être admiré pour créer, pour avancer. C’est motivant.
On a le sentiment que vous avez en permanence besoin de vous dépasser. Vous voulez en tant que comédien tenir des rôles plus grands que nature, et en tant que cinéaste il faut que vous puissiez réussir dans tous les genres possible… Cette ambition peut paraître démesurée, elle peut agacer…
G. C. : J’en suis bien conscient. Mais j’ai besoin de m’attaquer à des choses qui me donnent le sentiment d’avancer, qui me font vibrer. Quitte à prendre des risques. Des risques qui restent mesurés quand même, car c’est du cinéma et quoi qu’il arrive ça ne sera pas la fin du monde. Mais c’est vrai que je pourrais me cantonner dans un cinéma populaire où le chemin est balisé.
Après le gros succès des Petits Mouchoirs et de sa suite, vous pourriez être tenté d’ajouter des épisodes jusqu’à plus soif… Alors que se lancer dans un polar aux États-Unis ou dans l’adaptation d’Astérix comporte des risques…
G. C. : Tout à fait. Mais j’ai besoin de me lancer des défis. Je me mets dans des situations où je vais avoir des problèmes nouveaux à résoudre. Mais j’ai beaucoup de chance. Quand on peut faire des films et que l’on touche le public, ça n’a pas de prix. Et tant pis si le métier me regarde parfois curieusement.
Vous n’êtes pas si isolé que cela. Vous faites quand même partie d’une famille aux Productions du Trésor, sous la houlette d’Alain Attal. Gilles Lellouche, Jean Dujardin sont vos complices…
G. C. : C’est vrai que c’est une famille qui me porte. Je connais Alain Attal depuis toujours. Depuis le temps en tout cas où il possédait un restaurant et que je venais faire du stand up pour la clientèle. Et Alain a produit mes courts métrages. Et lorsque j’ai voulu faire un long métrage, Mon idole en l’occurrence, il a vendu son restaurant. Et Mon idole a bien marché… Je pense souvent au public qui m’a permis de faire les films que j’ai pu faire. C’est parce que je lui suis reconnaissant que je veux le surprendre et sortir mes tripes, plutôt que de simplement faire un film de plus. C’est en tout cas avec l’idée d’aller le plus loin possible, de proposer des scènes qui n’ont jamais été faites auparavant que j’ai tourné Astérix, qui est actuellement en post-production. Le tournage de Lui a pris quatre semaines, celui d’Astérix quatre mois !
Pour Lui, vous êtes-vous posé la question de savoir où était la barre de l’impudeur ?
G. C. : Évidemment. Quand on écrit, il y a des moments où l’on se dit que c’est un peu trop. Mais on le laisse pour avancer, avec l’idée que l’on y reviendra. Mais quand on relit, la question de la pudeur ne se pose plus dans les mêmes termes. Parce que le film a pris son autonomie et que l’on oublie que c’était personnel au départ. Le personnage s’est emparé de ce que l’on exprime. C’est une règle que je crois nécessaire, celle de garder cette inconscience. Si l’on commence à se dire que l’on ne peut pas dire certaines choses, on produit des films sans doute consensuels, mais certainement aseptisées.
Lui n’est ni aseptisé ni consensuel…
G. C. : J’en suis bien conscient. On m’a accusé de narcissisme par exemple. Mais j’ai une réponse très claire à faire. Je réalise un film en moyenne tous les deux ou trois ans. Je n’ai pas la chance de recevoir des scénarios décoiffants tous les quatre matins. Or j’ai cette possibilité de pouvoir écrire, alors autant en profiter. J’aurais pu signer le scénario de Lui et le proposer à un autre metteur en scène, qui aurait confié le rôle à un autre acteur. Une façon de se dissocier, d’être à l’abri de toute tentation narcissique. Mais encore une fois on parle mieux de ce qui nous est proche. Un sujet très personnel peut devenir universel parce qu’on le connaît, qu’on le maîtrise. Je reconnais avoir la tentation de parler de moi. Mais c’est pour être juste, sincère. Et après si les gens s’y retrouvent, je suis tellement heureux…
Cela étant dit, vous tempérez tout cela par un goût très marqué de la dérision. Qui était omniprésente dans Rock’n’roll, mais que Lui porte également. Et qui est parfois présente dans les films où vous êtes simplement devant la caméra. Votre participation aux Sex addicts anonymes dans Les Infidèles est un grand moment…
G. C. : Je crois bien ne pas céder à la tentation de sculpter ma propre statue, j’aime aussi en prendre plein la gueule. Je ne tourne pas tant que cela en tant qu’acteur et c’est vrai que je prends le temps de choisir des rôles qui vont laisser des souvenirs.
Que pensez-vous des films de Bertrand Blier ?
G. C. : Blier est un génie. Et Lui lui adresse plus d’un clin d’œil. J’ai voulu lui rendre hommage. Je ne sais pas manier la plume comme le fait Bertrand Blier, et je n’ai pas la prétention de pouvoir être à son niveau, mais ce qui m’intéressait c’était de m’approcher autant que possible du genre de ses films. Parce que pour moi les films de Blier constituent comme un genre en soi. Blier a inventé un genre. Je voulais en tout cas trouver une liberté totale dans les dialogues, dans les déplacements des personnages, etc. Je voulais être en capacité de mêler la vie réelle et les fantasmes sans que le spectateur sache faire la différence immédiatement.
Ce qui permet de dire des choses que nous tairions en temps normal, puisque c’est dans un autre niveau de réalité…
G. C. : C’est en effet très commode, et je m’en suis naturellement servi. C’est ce qui permet au film d’être souvent très cru, d’avancer sans prendre de gants. Cette liberté est très grisante. Dans un cadre réaliste, on ne peut pas laisser débarquer Laetitia Casta à l’improviste en ciré jaune en plein milieu d’une scène…
Ce n’est pas la première fois que l’on voit un comédien se dédoubler dans la même image. On se souvient de Louis Jouvet dans Copie conforme ou de Jeremy Irons dans Faux Semblants. Cela doit être beaucoup plus facile aujourd’hui grâce aux effets numériques…
G. C. : Sans doute, mais cela reste assez complexe à faire. Je jouais le premier personnage avec un partenaire qui me donnait la réplique, afin d’avoir le regard à la bonne hauteur. Puis je choisissais la prise qui me semblait la meilleure, afin que l’on me la fasse entendre dans une oreillette pour pouvoir interpréter le second personnage dans le bon timing. Ce qui fait que je jouais avec moi-même me parlant à l’oreille… Mais si je passais devant, il fallait mettre un fond vert derrière pour contrôler l’interaction entre les deux corps, etc. Ce n’est pas si simple…
Les dialogues sont très précis, très écrits. Vous aviez leur musique en permanence à l’oreille quand les autres comédiens entraient en scène ? Vous avez fait des répétitions ?
G. C. : Non, pas de répétitions, nous n’en avons pas eu le temps. Mais j’ai été très précis et très exigeant sur le rythme que je souhaitais imprimer. Je tenais vraiment à ce que les personnages ne s’écoutent pas parler. Il fallait que ce soit le plus fluide possible, le plus naturel possible, pour éviter toute redondance puisque nous n’étions pas dans le naturel justement.
Propos recueillis par Yves Alion
Réal. et scén. : Guillaume Canet. Phot. : André Chemetoff. Mus. : Alexandre Desplat. Prod. : Alain Attal. Dist. : Pathé. Int. : Guillaume Canet, Virginie Efira, Mathieu Kassovitz, Laetitia Casta, Nathalie Baye, Patrick Chesnais. Durée : 1h28. Sortie France : 27 octobre 2021.