Publié le 11 avril, 2014 | par @avscci
Entretien Emmanuelle Bercot – Elle s’en va
Emmanuelle Bercot a plusieurs cordes à son arc. Les lecteurs de L’Avant-Scène Cinéma sans doute se souviennent-ils de l’entretien qu’elle nous avait accordé dans le numéro 586, consacré à Polisse, dont elle était la coscénariste ainsi que l’une des interprètes. Depuis lors, elle a signé l’un des sketchs des Infidèles, mettant en scène Jean Dujardin et Alexandra Lamy en pleine crise de couple (l’épisode est sans conteste le plus douloureux de ce film fort réjouissant qui nous renvoie mine de rien aux riches heures de la comédie italienne). Mais c’est avec un long métrage personnel qu’elle nous revient aujourd’hui. Elle s’en va est un petit bijou de drôlerie, une ode à la liberté comme il y en a peu. L’histoire est celle d’une femme déjà sexagénaire, incarnée par une Catherine Deneuve au sommet de son art, qui un peu par hasard coupe les liens qui la retenaient à une vie confinée et médiocre. Elle largue les amarres et vogue vers le grand large, se réservant de multiplier les rencontres les plus improbables au fil de son échappée belle. C’est peu dire que nous nous régalons de cette légèreté, de cette liberté, le film étant à l’image de son personnage principal. Aérien.
PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION
Quel est le point de départ du film ?
Emmanuelle Bercot : Le désir de tourner avec Catherine Deneuve. Et de faire un film un peu léger. Mes films précédents étaient parfois durs, déprimants. J’avais besoin de changer d’air. Catherine portant en elle une certaine légèreté, il m’a paru cohérent de faire un film qui en rende compte. Quand on connaît Catherine, on s’aperçoit qu’elle est très loin de l’image qu’on a d’elle. Elle a une curiosité, une liberté, une joie de vivre phénoménales. C’est cette part solaire qui m’a inspirée. On la retrouve nécessairement sur le plateau, car elle a beaucoup de bonheur à tourner. Ce qui m’a frappé chez elle, c’est sa capacité à s’émerveiller de tout sur un plateau, alors que l’on pourrait imaginer qu’elle a fait le tour de la question. Elle peut vous donner l’impression que c’est la première fois de sa vie qu’elle voit une rampe à pluie, alors qu’il est évident que ce n’est pas le cas. Catherine possède une part d’enfance qui fait du bien à ceux qui l’entourent.
C’est donc une comédienne facile…
E. B. : Pour moi elle l’a été. Mais je pense que cela ne survient que si la confiance règne. Quand Catherine perd confiance et qu’elle commence à douter de ce qu’elle fait, ce n’est certainement pas la même chose. C’est du moins ce que suppose, puisque notre relation a été idyllique de bout en bout.
Comment l’avez-vous approchée pour lui proposer le rôle ?
E. B. : Nous ne nous étions jamais vraiment rencontrées, mais j’avais appris qu’elle avait vu mes films et qu’elle les appréciait. Mais pour autant, quand nous nous sommes vues, je ne lui ai pas dit d’emblée que j’écrivais pour elle. J’ai passé près d’un an sur le scénario, sans qu’elle le sache. Mais clairement le film était pour elle. Je ne l’aurais pas tourné si elle n’avait pas dit oui. Je ne voyais qu’elle dans le rôle. J’avais été très claire avec les producteurs, dès le départ. Et ils ont quand même pris le risque de développer le scénario sachant que le film n’irait pas plus loin en l’absence de Catherine. Quand elle a reçu le scénario, elle a hésité un moment avant de me répondre. Les Bien-aimés, le film de Christophe Honoré n’avait pas bien marché et ça l’avait atteinte. Elle se posait des questions sur ce qu’elle devait faire. Plus que le scénario, je pense que notre rencontre a été déterminante. Elle a été séduite par ma proposition qu’elle ne soit entourée que d’acteurs non professionnels. C’est un défi qui l’intéressait.
Et elle vous en a parlé pendant le tournage ?
E. B. : Non, elle n’est pas vraiment versée dans le commentaire. À l’exception de la scène avec le vieil homme qui tente de lui rouler une cigarette, qu’elle n’est pas prête d’oublier. Mais si elle ne s’exprime pas verbalement sur ce qu’elle ressent, on voit bien qu’elle prend du plaisir à être confrontée à un comédien qu’elle ne connaît pas et dont elle découvre le talent. C’est une femme généreuse : elle avait envie que tout le monde soit bien, pour le bénéfice du film.
Vous avez fait des lectures pour voir comment les comédiens amateurs s’en sortaient ?
E. B. : Non, nous n’avions pas le temps. Nous avons de temps à autre fait quelques répétitions. En fait, je n’aime pas beaucoup ça. Je préfère voir ce qui arrive sur le plateau. Je n’ai pas été déçue : les comédiens n’avaient aucune idée de ce qui se passe sur un plateau, et bien sûr ils n’avaient jamais rencontré Catherine Deneuve de leur vie.
Comment s’est fait le casting ?
E. B. : Dans la rue. J’avais des assistants qui quadrillaient la campagne. Cela n’a pas toujours été facile. Notamment pour trouver un homme qui sache rouler les cigarettes, il n’y en a plus beaucoup. Pour ce qui le concerne, c’est le bouche à oreille qui nous a sauvé la mise. Quand nous avons vu son visage et ses mains, nous savions qu’il serait parfait. Il l’a été, il s’est laissé filmer comme s’il ne savait rien de ce qui se passait. Je pense qu’il n’avait pas vraiment conscience du tournage, en fait. Je ne suis pas certaine qu’il savait qui était Catherine Deneuve. Et à aucun moment je ne l’ai pris entre quatre yeux pour lui expliquer.
En amont du choix des comédiens, comment s’est fait le choix des personnages qui croisent à un moment ou un autre le chemin du personnage interprété par Catherine Deneuve ?
E. B. : En fait il n’y a pas vraiment eu de raisonnement de ma part pour constituer un panel de personnages. Le scénario s’est un peu construit comme un puzzle. J’avais envie de certaines scènes et le problème était de les emboîter. Je voulais voir Catherine avec un vieux monsieur, je voulais la voir avec des femmes esseulées dans une boîte de nuit, je voulais la voir avec un agriculteur dans un champ, etc. Soit dit en passant j’ai beaucoup coupé dans cette dernière scène alors que les échanges entre Catherine et cet agriculteur étaient riches. Catherine s’intéresse énormément à la terre.
Y a-t-il des scènes qui n’étaient pas vraiment écrites et qui se sont dessinées au fil des rencontres ?
E. B. : Je ne crois pas. Le scénario était assez précis. Il n’y a pas d’improvisation, en dehors de la scène avec le papi. Il faut du temps pour improviser, et nous n’en avions pas. Mais je n’ai pas pris mes comédiens au hasard, ils ont été choisis en fonction de ce qui était écrit, et ils ont fait des essais. Les road movies doublent le plus souvent le cheminement géographique d’un cheminement moral des personnages.
Les étapes étaient-elles clairement fixées dès le départ dans l’évolution de son ouverture au monde ?
E. B. : Non, je ne réfléchis pas à ce qui se passe dans la tête des personnages. Je ne conçois pas les scénarios de cette manière. Je savais qu’il devait y avoir une rencontre amoureuse à la fin du film. Je savais que je voulais voir Catherine avec un enfant. En fait le cheminement intérieur du personnage surgit des situations. Je redoute toujours dans un scénario d’apparaître trop mécanique. Rien ne m’ennuie davantage dans un film que les scènes rendues nécessaires pour les besoins d’une construction dramatique que l’on ressent comme étant artificielle. Cela étant dit, il fallait bien trouver des trucs pour que soit plausible son désir d’aller toujours de l’avant plutôt que de rentrer chez elle. L’enchaînement des événements provoque cette fuite en avant, qui ne dure au demeurant qu’une semaine… Mais il est vrai qu’il est des semaines qui donnent le sentiment que l’on a vécu dix ans. Le film est aussi une histoire de temps, et il démarre quand cette femme décide que dorénavant elle prendra le temps qu’elle ne s’accordait pas jusque-là. Peut-être ai-je vécu par procuration, car je suis toujours en train de courir… Ça ne m’arrive pas de parler deux heures avec quelqu’un que je ne connais pas, et c’est dommage.
Le film est effectivement l’histoire d’une femme dont la vie est bornée de toutes parts, qui s’ouvre tout à coup aux autres…
E. B. : J’ai tendance à penser que les gens qui n’ont pas eu la vie dont ils avaient envie sont nombreux… Souvent on se satisfait d’une certaine médiocrité. Je ne voulais pas que cette femme paraisse aigrie : elle a pris son parti de la façon dont sa vie s’est goupillée. C’est par hasard qu’elle rompt avec la routine, et peu à peu elle prend conscience que c’est agréable. C’est la différence fondamentale avec sa fille qui elle, est une vraie rebelle, qui n’a jamais pu satisfaire de la vie qui lui était offerte.
Sans vouloir jouer les curieux, on est tenté de vous demander si ce fantasme de larguer les amarres est de ceux que vous partagez ?
E. B. : Incontestablement. Je dois avouer qu’il m’arrive de penser que la vie est terminée à quarante ans. Ce film est une façon de me prouver que c’est une ânerie. Dans le personnage qu’interprète Catherine, je ne peux m’empêcher de voir l’adolescence. Je plains ceux qui ont totalement évacué leur part d’adolescence. C’est terrible. Je suis émue par ceux qui n’ont jamais renoncé à leurs rêves. Et je ne vous cache pas que cela me fait beaucoup de bien de voir les spectateurs qui sortent de la projection de ce film en ayant l’air heureux. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR YVES ALION
Réal. : Emmmanuelle Bercot. Scén. : Emmmanuelle Bercot et Jérôme Tonnerre.
Dir. Ph. : Guillame Schiffman. Mont. : Julien Leloup. Déc. : Éric Barboza. Cost. : Pascaline Chavanne.
Dist. : Wild Bunch.
Avec Catherine Deneuve, Nemo Schiffman, Gérard Garouste, Camille, Claude Gensac, Paul Hamy, Mylène Demongeot, Hafsia Herzi ;
Durée : 1h53. Sortie France : 18 septembre.