Publié le 15 septembre, 2021 | par @avscci
0Entretien Emmanuel Courcol – Un triomphe
Un triomphe nous montre le monde carcéral sous un angle inédit, loin des clichés habituels et des remarques sociologiques assénées au marteau. Et pourtant peu de films ont rendu compte avec autant de précision, sans le plus petit effet de manche ou la moindre tentation de pathos, de la réalité de ceux qui purgent une peine à l’ombre des hauts murs. Emmanuel Courcol a filmé dans une vraie prison, en activité qui plus est, ce qui donne une patine documentaire à son film. On a le sentiment que les personnages sont incarnés par de véritables détenus, alors que ce sont bien entendu des comédiens. Qui donnent vie à des hommes qui ne sont certes pas des saints, mais simplement des individus au parcours cabossé qui se retrouvent de façon impromptue dans un cours de théâtre.
Emmanuel Courcol met en scène un milieu où l’imaginaire est vital, aussi ne se met-il pas en tête de couper les cheveux en quatre. Le film est tout entier emporté par cette fougue, oscillant en permanence entre la violence et la rédemption, entre le rire salvateur et les pesanteurs de destins pas toujours souriants. Mais le film ne nous dit pas pour autant ce qui a conduit les différents personnages à échouer dans des culs-de-basse-fosse. Pas de grille psycho-sociologique pour alimenter notre connaissance de ces hommes.
Mais ce film est aussi une ode au théâtre, un cri d’amour pour les planches comme le cinéma en a peu produits. Qui nous fait comprendre que l’on peut se dépasser en allant chercher en soi des richesses, des talents que l’on ne soupçonnait pas, mais dans le cadre d’un projet collectif. À cet égard, Emmanuel Courcol, qui en son temps a également été comédien, via Kad Merad ou plus précisément son personnage, nous gratifie d’une bouleversante confession qui nous tire littéralement les larmes aux yeux.
De quand date le projet de mettre en scène ce fait divers suédois ?
Emmanuel Courcol : Cela fait un moment que j’y pense. Un documentaire, Prisonniers de Beckett, avait été fait par les Canadiens pour raconter l’histoire de ces prisonniers suédois qui s’évadent par le biais du théâtre, et mon producteur me l’avait fait voir. À l’époque j’étais scénariste, je n’avais pas encore mis en scène. J’ai commencé à réfléchir sur la façon dont il était possible d’adapter le fait divers à la France contemporaine. Les personnages devaient être définis de façon très arbitraire, mais précise, et cela m’a enthousiasmé. Et de fil en aiguille je me suis projeté dans la réalisation. Comme je n’étais pas prêt, j’ai fini par laisser tomber.
Il était apparu difficile de changer les personnages par rapport à ceux qui existaient dans le documentaire ?
E. C. : Ah oui. Les prisonniers suédois ne ressemblaient pas le moins du monde à ceux que l’on peut trouver dans les geôles françaises. Ce n’est ni le même milieu, ni les mêmes us et coutumes, ni même un niveau identique quant à leur accès à la culture. Je me suis même demandé s’il fallait rester fidèle à l’histoire originelle, garder Godot et conserver le théâtre. Quand je suis passé à la réalisation, j’ai d’abord fait un court métrage, puis mon premier long, Cessez-le-feu*. Mais je n’avais pas abandonné l’idée d’Un triomphe.
Et vous avez finalement gardé En attendant Godot ?
E. C. : Je crois qu’il aurait été idiot de choisir une autre option. La pièce de Beckett est inhérente à cette histoire. À se demander si l’imaginaire des prisonniers aurait été irrigué de la même façon dans un autre contexte. Je n’irai pas jusqu’à affirmer qu’ils n’auraient pas réagi de la même manière en jouant Molière, mais Beckett a clairement fait mûrir leur engagement dans le projet. L’absurdité du monde que décrit la pièce était comme un miroir qui leur était tendu.
Mais ce n’étaient pas des intellos…
E. C. : La pièce est d’autant plus intéressante. C’est en tout cas la preuve qu’il ne fallait pas l’approcher de façon intello, ce qui est un peu la tendance au théâtre en France. Mais les prisonniers, apprentis acteurs, l’ont prise au premier degré, ils l’ont jouée de façon très spontanée. En s’investissant, en s’identifiant aux personnages.
Vous avez été comédien. Vous n’ignorez rien de la façon dont on embrasse le métier…
E. C. : Je crois qu’un film comme celui-ci n’aurait pas pu être entrepris par quelqu’un qui n’aurait pas fait de théâtre. Il fallait avoir la technique théâtrale, l’habitude des comédiens, de la scène. Ne serait-ce que pour construire le personnage d’Étienne, que joue Kad Merad, pour qu’il soit juste. Il faut savoir qu’en prison les mecs ne rêvent pas de faire du théâtre. J’ai suivi un atelier théâtral pendant six mois dans la prison où j’ai tourné d’ailleurs, à Meaux. Les participants étaient désignés, ce n’était pas des volontaires. Mais c’était différent, c’était un atelier d’écriture, et ils faisaient de la boxe en parallèle… Et les types ne se sont passionnés pour l’atelier que très progressivement. Une passion d’autant plus grande qu’elle serait couronnée par une représentation à l’extérieur, et donc une sortie…
Ces six mois d’observation ont été capitaux ?
E. C. : Oui, vraiment. J’avais écrit le scénario avant de rencontrer Kad. Qui m’a donné son accord, en précisant qu’il ne serait pas libre avent un an. Je tenais vraiment à lui, alors j’ai décidé de l’attendre. Et cette année-là a été utilisée à écrire pour d’autres cinéastes, et à faire ce stage d’observation. Qui m’a énormément nourri pour retravailler le scénario, peaufiner les personnages. Ensuite cela m’a également aidé dans la réalisation et la direction d’acteurs.
Kad Merad était-il votre premier choix ?
E. C. : Pour être franc, j’avais d’autres comédiens en tête, mais qui n’ont pas été emballés par ce que je leur avais donné à lire. C’est mon producteur qui m’a parlé de Kad et m’a conseillé de regarder la série Baron noir. Ce que j’ai fait. Et là, je n’ai plus eu la moindre hésitation : Étienne devait être interprété par Kad. J’irai même jusqu’à dire qu’il y a des aspects de la personnalité de Rickwaert, le baron noir en question, dans le personnage d’Étienne. À commencer par ce ressort obsessionnel qui fait qu’il fonce… Il n’est pas nécessairement sympathique, il est en guerre perpétuelle avec ses proches, mais il dégage quelque chose… Par ailleurs le comédien est à la fois facile dans le travail, drôle et sérieux à la fois. Que demander de plus ?
Le comédien a-t-il su fédérer la troupe composée d’acteurs beaucoup moins connus que lui comme le personnage parvient à faire exister sa troupe en tant que collectif ?
E. C. : Tout à fait. C’est un peu le miracle de ce film. Tout s’est remarquablement bien passé. Kad n’a pas joué les vedettes. L’osmose a pris.
La mise en scène de la pièce à l’intérieur du film, c’est la vôtre !
E. C. : Évidemment. Et je l’ai mise en scène comme si elle devait exister par elle-même, en dehors des besoins du tournage. J’ai dû en monter une vingtaine de minutes, avant de réduire au montage. J’avais choisi de montrer que cette pièce sur l’absurde était bien une comédie, que les acteurs devaient s’amuser. J’ai vu nombre de captations de cette pièce, je l’ai même travaillée quand j’étais rue Blanche. Mais dans la plupart des cas je n’étais pas vraiment emballé par ce que je voyais. Il existe des tas de possibilités différentes pour mettre cette pièce en scène et en même temps il n’est pas possible de s’affranchir des didascalies. Beckett a écrit tout ce qui se passe de façon extrêmement précise. Et les ayants droit sont assez impitoyables sur le sujet… J’ai vu sur Youtube un extrait de la pièce montée à Broadway, avec Steve Martin et Robin Williams. On entend la salle écroulée de rire. C’est évidemment cette voie-là qu’il fallait suivre… Le message philosophique réside dans la situation et le texte, mais les personnages sont avant tout burlesques.
Avez-vous eu connaissance de la façon dont les vrais taulards, en Suède, s’étaient accaparé le texte ?
E. C. : Le metteur en scène avait filmé les répétitions, on le voit dans le documentaire qui s’en est suivi. On les voit vraiment habités par leurs personnages. On comprend pourquoi la pièce a donné lieu à des représentations à l’extérieur de la prison, qu’elle a été demandée un peu partout… Il se passait vraiment quelque chose sur scène.
Le film pose la question du rôle de la prison. On se souvient que Sarkozy avait eu un coup de sang en voyant que les flics faisaient des matchs de foot dans les quartiers chauds plutôt que de réprimer. Or la prison est ici montrée comme un lieu plutôt ouvert et généreux…
E. C. : Ce que je montre existe. L’accès de la prison à la culture est dans la loi. C’est dans la mission du SPIP, le Service pénitentiaire de Probation et d’Insertion. C’est une façon de préparer la sortie en amont, de veiller à la prévention de la récidive.
Comment avez-vous constitué votre panel de personnages ?
E. C. : Pour constituer une typologie vraiment complète, il aurait fallu que je fasse une superproduction. Je n’ai pas cherché à croiser toutes les origines, toutes les tranches d’âge ou tous les motifs d’incarcération, je me suis davantage appuyé sur ce que j’avais vu pendant les six mois d’observation. J’ai quand même veillé à maintenir une certaine diversité ethnique. Qui n’existe pas toujours en prison. Mais la sociologie des petits trafiquants de banlieue n’est évidemment pas celle des délinquants sexuels, une catégorie qui représente vraiment tout le monde. Mais les taulards ne vous disent pas pourquoi ils sont là. Sauf à l’occasion les braqueurs, qui se considèrent un peu comme des aristocrates de la détention.
Vous avez pu tourner dans une prison en activité. Cela n’est pas courant…
E. C. : Effectivement. Mais comme j’avais filmé les répétitions auxquelles j’avais assisté, ma présence était déjà un peu familière. En outre, la coordinatrice culturelle, Irène Muscari, qui est en charge de tout cela, a vraiment donné un coup de main décisif. C’était plus facile que si j’avais débarqué du jour au lendemain. La plupart des tournages en prison se font sur deux ou trois jours, dans des prisons désaffectées. Et nous avons pu rester huit jours avec toute une équipe de cinéma. L’administration pénitencière m’a confié que ce n’était jamais arrivé auparavant.
Tout s’est fait en prison ?
E. C. : Non, loin de là. Toutes les scènes de répétition par exemple ont été tournées en studio. Idem ce qui se passe dans les cellules, qui ont été refaites à l’identique. En fait la première semaine de tournage a eu lieu en studio, puis nous avons été en prison. Puis au bout d’une semaine nous sommes revenus en studio pour raison hors de ma volonté… J’avais perdu un acteur ! Il a fallu le remplacer, ce qui a bouleversé notre plan de tournage. L’acteur à qui j’avais confié le rôle que tient Pierre Lottin s’est retrouvé en taule pour de bon. Avouez que ce n’est pas banal ! Mais j’avais pris ce mec parce qu’il était très proche du personnage…
Visiblement trop proche !
E. C. : Pendant un moment, je me suis demandé si j’avais la possibilité de le garder en modifiant le scénario. Mais j’ai fini par retourner ce qui l’avait été. L’expérience a été incroyable au final : nous avons tourné dans certains lieux de la prison où personne n’avait jamais posé une caméra. Les scènes de fouilles par exemple…
Nous n’avons pas le sentiment pour autant de pittoresque extravagant…
E. C. : J’espère bien. Mon objectif était de rester en permanence dans l’optique de la pièce en train de se faire. Je ne voulais pas faire une chronique. C’est pour cela que je me suis contenté du strict nécessaire dans la description de chacun des personnages, il n’était pas nécessaire de connaître par le détail leur environnement social ou familial.
C’est le plus beau plaidoyer jamais fait sur le théâtre. Le discours final prononcé par Kad Merad est-il une traduction de ce que le metteur en scène suédois avait dit ?
E. C. : Non. Ce discours final, je l’ai écrit. Je ne sais pas exactement ce qu’il a dit. Mais je sais qu’il est resté longtemps sur scène et qu’il a raconté aux spectateurs les tenants et aboutissants de cette soirée pas commune. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois et il a pu me transmettre la substance de son discours. Aujourd’hui il dit être resté deux ou trois heures sur scène. Je me demande s’il n’en rajoute pas un petit peu quand même ! D’autant qu’il a fait un spectacle par la suite et qu’il a un peu enrichi son histoire pour les besoins de ce spectacle.
Ce plaidoyer aurait pu donner lieu à un plan-séquence d’anthologie. Vous n’avez pas été tenté ?
E. C. : Ce n’est pas un plan-séquence mais chaque plan est quand même très long. Il nous a fallu trois jours de tournage. Nous n’avons pas fait tant de prises que cela mais les mises en place étaient longues. Et il fallait que les interactions avec la salle soient au cordeau. Nous ne disposions pas de huit cents figurants pendant trois jours ! Pour préserver une certaine fluidité nous avons tourné à trois caméras. Je suis bluffé par le résultat. Kad s’en est pratiquement tenu au mot près. C’est un comédien qui se tient au texte. S’il a une suggestion, il la fait avant.
Il n’avait pas le sentiment de s’attaquer à l’Everest par la face nord ?
E. C. : Sans doute. Il avait un peu peur. Cette scène finale était un véritable défi. Nous avons commencé à tourner sans public, puis nous l’avons fait venir en découpant un peu la scène. Cela a aidé Kad d’avoir le public, il lui donnait une énergie nécessaire.
À voir Un triomphe après avoir vu Cessez-le-feu, et en se souvenant des films que vous avez écrits pour Philippe Lioret par exemple on se dit que vous êtes fasciné par la fragilité et la capacité de résilience de l’être humain.
E. C. : Ce sont les personnages qui cherchent leur place qui m’intéressent au premier chef. Peut-être cela veut-il dire que je me cherche moi-même !
Propos recueillis par Yves Alion
Réal., scén. et dial. : Emmanuel Courcol, avec la collaboration de Thierry de Carbonnières et Khaled Amara, librement inspiré de l’histoire de Jan Jönson. Mus. : Fred Avril. Phot. : Yann Maritaud. Prod. : Agat Films & Cie / Les Productions du Ch’timi. Dist. : memento Distribution. Int. : Kad Merad, David Ayala, Lamine Cissokho, Sofian Khammes, Pierre Lottin, Wabinlé Nabié, Alexandre Medvedev, Saïd Benchnafa, Marina Hands, Laurent Stocker. Durée : 1h45. Sortie France : 1er septembre 2021.