Entretiens Les plus belles années d'une vie de Claude Lelouch

Publié le 10 juin, 2019 | par @avscci

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Entretien – Claude Lelouch pour Les plus belles années d’une vie

Les Plus belles années d’une vie est l’un des paris les plus fous jamais tentés au cinéma. Celui de proposer la suite d’un classique de l’écran, Un homme et une femme en reprenant les personnages et les acteurs qui leur prêtaient vie, cinquante-trois ans plus tôt. Le record de Bergman, qui avait demandé en 2003 à Erland Josephson et Liv Ullman de se glisser une nouvelle fois dans la peau des personnages de Scènes de la vie conjugale, trente ans après, est donc battu…

Les Plus belles années d’une vie est ainsi l’épilogue d’une histoire d’amour parmi les plus belles qui soient. Une histoire d’amour qui a résisté au temps et qui voit deux tourtereaux au soir de leur vie se comporter comme des adolescents qui découvrent la prime amourette. Il faut dire que Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée, en qui tout un chacun s’était identifié jadis tant ils avaient su incarner l’Amour, celui que l’on écrit avec un A majuscule, conservent malgré les outrages du temps un charme intact. Bien sûr les deux amants d’Un homme et une femme ne l’ont au fond pas été très longtemps. Mais ils se rendent compte au soir de leur vie que cette rencontre a été la plus belle qui soit. Les Plus belles années d’une vie est sans doute un film nostalgique, mais ce n’est pas un film sombre. Sous des airs de joyeuses retrouvailles, Claude Lelouch nous offre un film-somme, un film sur la mémoire, alors que le personnage incarné par Trintignant, à l’image du comédien d’ailleurs, peine à conserver la sienne. Alzheimer a maintes fois été traité au cinéma, le plus souvent de manière très douloureuse. Ici c’est presque le contraire. Le cache-cache des souvenirs devient un jeu. Il faut dire qu’entre ces deux-là, il n’est pas besoin de longs discours pour que les stratégies de séduction se remettent en place et que le charme opère. Le film est un patchwork qui mêle les ingrédients avec maestria, qui joue sur la temporalité, qui mixe rêve et réalité – mais le cinéma n’est-il pas la voie royale du fantasme – qui fignole la bande-son. Au final le film ne propose que peu de rebondissements narratifs, mais brasse les émotions pour se révéler comme une réflexion subtile et joyeuse sur le sentiment amoureux. Aujourd’hui Claude Lelouch a 81 ans, Jean-Louis Trintignant 88, et Anouk Aimée 87. Ils ont l’âge où il n’est plus temps de tricher. Les anciens amants sont légers, ils sont libres d’évoquer le passé comme de profiter de l’instant présent. Les deux comédiens sont tout aussi libres. Libres de nous adresser un dernier sourire alors que leurs carrières comptent déjà parmi les plus belles. Et Claude Lelouch est lui aussi comme un symbole de la liberté. Celle de nous offrir un film improbable qui est aussi l’un de ses plus beaux, un film qui revenant sur son plus grand succès donne l’air de dresser le bilan d’une œuvre. Une œuvre qui s’approche de sa fin. Mais les plus belles années d’une vie ne sont-elles pas celles que l’on n’a pas encore vécues ?

En retrouvant les personnages d’Un homme et une femme au soir de leur existence, vous célébrez la vie…

Claude Lelouch : Je l’espère. On m’a souvent reproché de ne pas faire de films politiques. Je le reconnais, je n’ai jamais défendu les idées. Ne serait-ce que parce que j’en change souvent. En revanche je n’ai jamais cessé d’aimer la vie. Avec toutes ses contradictions, ses paradoxes, ses défauts. Au fond le seul sujet de tous mes films, c’est le genre humain. Je préfère le genre humain à tous les paysages du monde. Je suis davantage épaté par le sourire d’un enfant que par un coucher de soleil, par une femme qui dit : « Je t’aime » que par le mont Blanc ou les Pyramides. L’humanité est la plus belle invention du monde, même si elle n’est pas au point.

Vous rangez-vous parmi ces êtres perfectibles ?

C. L. : Je suis d’une lucidité bienveillante. J’accepte les défauts des autres, je ne porte pas de jugements. Chacun a la capacité d’être un héros ou d’être un salaud. Moi le premier. Il y a des jours où je ne suis pas très fier de moi. Mais on n’a pas toujours les moyens d’être à la hauteur.

Le personnage de Jean-Louis Trintignant dans Un homme et une femme a-t-il des zones d’ombre ?

C. L. : À la ville, Jean-Louis Trintignant est assez négatif. Il dit sans cesse qu’il a tout raté. Ce que j’aime chez lui, ce sont ses cicatrices, la mort de sa fille Marie étant la plus profonde. C’est un homme bouleversant, son visage indique qu’il a souffert le martyr. Mais si un homme qui a eu toutes les souffrances du monde a encore une pointe d’optimisme, c’est que la vie est plus forte que tout. Pour ce qui est du personnage du film, bien sûr qu’il a des zones d’ombres. Il reconnaît lui-même avoir été un menteur, ne pas avoir été à la hauteur.

Le paradoxe de l’histoire d’amour entre les personnages de Trintignant et d’Anouk Aimée est qu’elle est à la fois éphémère et qu’elle porte néanmoins les personnages toute leur vie…

C. L. : Mais Anouk dit que les quelques jours passés avec Jean-Louis sont les plus beaux moments de sa vie. Elle ne les oublie pas.

Vos films plongent tous plus ou moins dans le passé. Alors que vous n’avez presque jamais fait de films en costumes…

C. L. : J’ai situé plusieurs de mes films pendant la Seconde Guerre mondiale, mais c’est une période que j’ai connue. Toute une vie démarre plus tôt, mais j’ai été abreuvé de cette époque. Je n’ai jamais fait de film dont je n’ai pas été le témoin direct ou indirect. J’ai toujours voulu parler de ce que je connaissais. Il y a peu de chance que je fasse un jour un film sur Jeanne d’Arc. Je ne serais pas très utile à sa cause… Pour ce qui est du passé, je ne vois pas comment ne pas le prendre en compte en permanence. Quand on dit à une femme qu’elle est la plus belle du monde, il n’est pas possible de ne pas penser à toutes celles que l’on a aimées.

Et pourtant vous êtes dans le présent !

C. L. : Les Plus belles années d’une vie est en effet un hommage au présent. Le titre est issu d’une phrase de Victor Hugo disant que « les plus belles années d’une vie sont celles que l’on n’a pas encore vécues ».

Sans doute. Il n’empêche que les personnages ont couru sur la plage avant de faire l’amour et de connaître la passion. Aujourd’hui ils se retrouvent dans une maison de retraite…

C. L. : Je crois que je n’ai jamais été aussi heureux qu’aujourd’hui. Plus qu’au moment où j’ai reçu la Palme d’or et deux Oscar pour Un homme et une femme. Et pourtant c’est peu dire que j’étais heureux. Parce que le présent permet la synthèse. C’est vrai que je suis moins alerte que je ne l’étais, que mon corps regrette le temps passé, mais mon cerveau n’a jamais été aussi heureux. Le bonheur est un drôle de truc. Il ne se révèle souvent que par contraste. C’est quand on échappe au pire que l’on goûte au bonheur avec le plus d’intensité. Quand tout roule, on n’y pense pas vraiment…

Et le personnage de Trintignant dans Les Plus belles années d’une vie, c’est un homme heureux ?

C. L. : Oui. Il est en relation avec la poésie, qui ouvre la porte du rêve. Sa mémoire fiche le camp, mais il se souvient des poèmes qu’il a appris…

Le film aurait pu être très sombre, il est lumineux… Vous êtes aidé par un soleil très généreux…

C. L. : C’est vrai. Mais si la météo avait été moins généreuse, j’aurais simplement tourné certaines scènes en intérieur. Je me serais débrouillé pour que Jean-Louis et Anouk se retrouvent comme s’ils étaient seuls au monde. Je voulais que tous les autres occupants de la maison de retraite soient occupés à autre chose lors de leurs retrouvailles. C’est pour cela que j’ai fait venir un chanteur, pour focaliser l’attention de tous les autres.

On ne peut pas ne pas comparer le personnage de Trintignant avec ceux des films d’Haneke, testamentaires eux aussi.

C. L. : Quand j’ai vu Amour, je me suis dit qu’il fallait absolument que je tourne encore avec Jean-Louis. J’ai moins été épaté par Happy end… Mais Jean-Louis ne m’a pas répondu d’emblée par un oui franc et massif. Il a fini par donner son accord quand je l’ai assuré que si le film n’était pas réussi, il ne sortirait pas.

Et Anouk ?

C. L. : Elle était partante dès le début. Mais elle trouvait qu’il y avait trop de dialogue. C’est l’un des films les plus écrits que j’ai faits. Mais le texte du scénario n’est jamais figé. C’est un thème, après cela les comédiens s’en emparent. J’aime bien que l’on voie mes films comme des morceaux de jazz : rien n’est figé, tout s’invente au fur et à mesure.

Vous aviez jadis parlé d’un court épilogue à ajouter après la projection d’Un homme et une femme. À quel moment le projet a-t-il pris de l’ampleur pour se muer en un long métrage à part entière ?

C. L. : Pendant le tournage. Jean-Louis et Anouk m’ont subjugué, il fallait aller plus loin. Au départ tout était construit sur la scène des retrouvailles dans le parc de la maison de retraite. La scène dure vingt minutes, elle aurait pu être un court métrage. J’ai tourné la scène en une seule journée, je n’avais jamais bouclé vingt minutes en aussi peu de temps. Mais en voyant la scène, je savais qu’un long métrage était en train de naître. Je voulais la compléter par des rêves. Les rêves sont un point de départ commode. Tous mes films, je les ai rêvés avant de les écrire.

Vous aviez déjà réuni le couple d’Un homme et une femme dans Un homme et une femme : vingt ans déjà. Un film totalement aux antipodes de celui-ci…

C. L. : Avec le recul, je trouve que Un homme et une femme : vingt ans déjà est trop riche, à la limite du bourratif, qui développe beaucoup d’histoires parallèles. Les Plus belles années d’une vie est effectivement un retour à la simplicité, donc à l’essentiel. Et puis les personnages de Vingt ans déjà étaient trop jeunes. La vie n’avait pas eu le temps de passer… Il y a trois ans, nous avons fêté les cinquante ans d’Un homme et une femme. Je me souviens d’une projection avec Jean-Louis et Anouk. Ils se parlaient à côté de moi alors que les images du film défilaient, on les voyait avec cinquante ans de moins. J’ai compris à ce moment-là quel film je voulais faire… Avec des allers et retours entre passé et présent.

Les Plus belles années d’une vie comporte des éléments disparates : des scènes contemporaines, des scènes puisées dans Un homme et une femme, la reprise du court métrage C’était un rendez-vous… Comment s’est effectuée la mise en place de ces éléments ?

C. L. : Je vais répondre en évoquant un souvenir. Quand j’étais gosse, j’allais au cinéma et j’entrais par la sortie pour ne pas passer à la caisse. Ce qui fait que je ratais les premières minutes du film. Et pour ne pas me faire attraper je sortais avant la fin. Entre les deux, je restais sur le qui-vive de peur que l’on vienne me contrôler… Autant dire que je ne voyais pas les films dans les meilleures conditions. Mais j’ai très vite vu cela comme une métaphore de la vie : on ne sait pas d’où l’on vient, ni l’où on va… C’est comme cela que le présent s’est imposé. Et que s’est affirmée la nécessité de l’imaginaire, permettant de recoller les morceaux. C’est peut-être en reconstituant ces films que je ne voyais pas en entier que je suis devenu scénariste… Les Plus belles années d’une vie, c’est sans doute l’opportunité de finir un film qui n’était pas parvenu à son terme.

Vous êtes coutumier des séances de rattrapage. Même si les protagonistes n’étaient pas les mêmes, Un + une était l’occasion de réparer les désillusions amoureuses d’Un homme qui me plaît

C. L. : Tout comme Roman de gare reprend la trame de départ de L’Amour avec des si ou que Le Courage d’aimer propose une version alternative des Parisiens… C’est vrai que j’aime bien imaginer que mon travail n’est jamais totalement bouclé.

Vous donnez le sentiment avec votre dernier film que les rebondissements de l’intrigue n’ont plus guère d’intérêt, et que ce qui importe c’est ce qui se passe entre les personnages dans la scène…

C. L. : Je parlerais de l’extase du présent. Peut-être parce que j’ai conscience des heures ou des années qui me restent à vivre. En vieillissant, on n’a plus de temps à consacrer à l’inutile. Il faut vivre chaque instant comme si c’était le dernier, ce qui n’est pas désagréable. Je vais montrer le film à Cannes, et c’est peut-être la dernière fois que j’y présente un film. Je suis dans l’état d’esprit de Brel quand il disait déguster chaque bière car c’était peut-être la dernière. Je ne nierai pas qu’il y a un aspect testamentaire dans mon cinéma qui est plus appuyé qu’avant. Quant à l’agencement des scènes, cela n’a pas été le plus compliqué. J’ai intégré les scènes d’Un homme et une femme en m’adressant à ceux qui n’auraient pas vu le film et qui pourraient ainsi en comprendre la trame.

Pourquoi avoir inséré le court métrage C’était un rendez-vous, où vous traversez Paris à toute blinde ?

C. L. : Je crois que ce film est celui qui me représente le mieux, j’ai un peu vécu sans m’arrêter aux feux rouges. Je ne m’en vante pas, mais c’est ainsi. C’est le film dont je suis le plus fier et dont j’ai le plus honte. Il faut savoir que je déteste arriver en retard à un rendez-vous. Il était important que C’était un rendez-vous soit dans Les Plus belles années d’une vie. Dans Un homme et une femme, Trintignant est pilote de course… Et l’inclusion du court métrage montre à quel point tout est brouillé dans sa tête. La vitesse, les amours, le passé, le présent, le temps qui passe… Ce qui a été l’occasion de travailler la bande-son, de coller la chanson de Calogero, d’ajouter des surimpressions, de jouer sur les voix off. Cette séquence, c’est le dernier rêve du personnage… Et le fruit de tout ce que permet le cinéma. Elle ne respecte pas plus les codes du cinéma que je ne respecte le code de la route au volant de la voiture.

Comment Monica Bellucci est-elle arrivée sur le film ?

C. L. : Elle m’avait dit qu’elle aimerait beaucoup jouer dans un de mes films. Ma façon de tourner l’intriguait. Et je sais qu’elle rêvait de jouer avec Jean-Louis Trintignant. J’ai imaginé qu’elle pourrait être sa fille. C’était important que l’on sache qu’il a eu de nombreux enfants. Et Monica apporte des parfums d’Italie. Je prends toujours mes comédiens pour ce qu’ils sont, je ne me complique pas la vie à les transformer. Quand je fais jouer Bernard Tapie ou Éric Dupont-Moretti, ils ressemblent évidemment à leur image publique. En fait je suis davantage un coach qui met en valeur les talents qu’un metteur en scène. Je m’adapte. Quand je vois Jean-Louis Trintignant, qui est malade, qui a des problèmes de mémoire, mais qui se passionne pour la poésie, j’en tiens compte. Je lui fais dire des poèmes et je m’appuie sur sa voix, qui est la plus belle du monde. C’est pour cela que le film est bavard, cela permet d’entendre la voix de Jean-Louis.

Et pourtant, quand le film commence, la caméra reste sur son visage. Et il ne dit rien…

C. L. : J’ai voulu filmer la mort. Mais après la vie reprend ses droits… Mais ce premier plan est capital. Je l’ai tourné deux fois, et j’ai conservé la première prise. Ce plan n’était pas dans le scénario. Mais j’ai un vrai plaisir à inventer le film au fur et à mesure. J’aime bien que la météo me pousse dans des directions que je n’avais pas prévues par exemple. Il a fait un temps idéal pendant le tournage, à dominante de gris.

On ne peut pas ne pas faire un parallèle entre ces amants qui se retrouvent pour faire le bilan de leur vie et un cinéaste du nom de Claude Lelouch qui d’une certaine manière est né avec Un homme et une femme, qui a lancé sa carrière pour plusieurs décennies…

C. L. : Évidemment. Et le film est construit sur ce que j’ai appris depuis cinquante ans. Un homme et une femme est comme mon père et ma mère. Parce que c’est le film qui me fait naître au cinéma, qui fait que l’on commence à s’intéresser à ce que je fais. On ne refait pas l’histoire bien sûr, mais sans le miracle d’Un homme et une femme, nous ne serions sans doute pas là aujourd’hui à parler de cinéma…

Propos recueillis par Yves Alion et Jean Ollé-Laprune.

Réal. : Claude Lelouch. Scén. : Claude Lelouch, adapté par Valérie Perrin. Phot. : Robert Alazraki. Mus. : Francis Lai et Calogero. Prod. : Les Films 13. Dist. : Metropolitan FilmExport. Int. : Jean-Louis Trintignant, Anouk Aimée, Monica Bellucci, Marianne Denicourt, Souad Amidou. Durée : 1h30. Sortie France : 22 mai 2019.

Un homme et une femme : Les Quatre saisons

1966 Claude Lelouch est au fond du trou. En l’espace de six ans, il a réalisé six films. Le premier (Le Propre de l’homme) a été un four, le second (La Vie de château) s’est arrêté au bout de quelques jours de tournage, le quatrième (La Femme spectacle) est un condensé de mauvais goût, le dernier (Les Grands Moments) ne sortira jamais… Restent L’Amour avec des si et Une fille et des fusils, qui ont retenu un peu l’attention sans pour autant casser la baraque. Bref, la carrière de l’ambitieux jeune homme patine… C’est dans ce contexte que déboule Un homme et une femme, comme un baroud d’honneur, qui va permettre à Lelouch de se ranger parmi les cinéastes les plus en vue du moment. On a tout dit de sa Palme d’or et des deux Oscar que le film a récoltés, on a tout dit de la voie royale que le film a ouvert, permettant au cinéaste de surfer sur la vague du succès pendant des années, avant de construire l’une des œuvres les plus riches et les plus ambitieuses qui soient. Mais on a moins souligné que le film était bien souvent l’objet de malentendus. Beaucoup l’ont vu comme une bluette, sous fond de chabadabadas. Or rien n’est plus faux. Un homme et une femme est sans doute porté par la grâce, mais c’est un film douloureux, qui réunit deux êtres blessés par la vie. Anne Gauthier et Jean-Louis Duroc, à qui Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant prêtent leurs traits pour l’éternité, ont du mal à oublier le passé, Anne est même totalement incapable de faire son travail de deuil après la perte de celui qu’elle aimait. C’est la raison pour laquelle ils se séparent après s’être embrassés. Ce qui vaut au film de se terminer par une scène mythique, quand les deux tourtereaux se retrouvent sur un quai de la gare Saint-Lazare. Mais rien n’indique qu’ils vont pour autant rester dans les bras l’un de l’autre… D’ailleurs, vingt ans plus tard, quand nous les retrouverons dans Un homme et une femme : Vingt ans déjà, ce sera pour se rendre à l’évidence d’une histoire qui ne s’est pas poursuivie…

1977 Ce ne sont pas Anne Gauthier et Jean-Louis Duroc, mais Jeanne Leroy et David Williams que fait vivre Un autre homme, une autre chance, sous les traits de Geneviève Bujold et James Caan. Le temps n’est pas le même, puisque le film commence pendant la Commune de Paris pour se répandre dans les années qui ont suivi l’insurrection (et le départ de certains pour le Nouveau Monde). Le lieu est également différent puisque c’est dans l’Ouest américain que se déroule la majeure partie du film. Un autre homme, une autre chance est un western, un beau western, qui montre que Lelouch est parfaitement à même de s’adapter à tous les genres sans renier quoi que ce soit de son univers personnel. Le film est par ailleurs une variation sur le thème d’Un homme et une femme, les protagonistes du film étant confrontés aux mêmes émois que leurs modèles. La trame est également similaire, traitant de l’absence de l’être aimé, des enfants, de l’espoir d’un nouvel amour, etc. Et la fin est tout aussi ouverte. Comme il n’y a pas eu de Un autre homme, une autre chance : Vingt ans déjà, elle le restera pour toujours…

1986 Vingt ans après Un homme et une femme, Claude Lelouch propose de faire revivre ses personnages, de nous éclairer sur les vingt années écoulées (au cours desquelles Anne et Jean-Louis n’ont pas eu le moindre contact), de nous montrer leurs retrouvailles. Un homme et une femme : Vingt ans déjà est un film d’une richesse peu commune, qui mixe de très nombreux éléments, quitte à donner un peu le tournis. Parce que Jean-Louis est toujours pilote et qu’il se perd dans l’aventure du Paris-Dakar. Et Anne est productrice de cinéma, qui se met en tête de lancer le tournage d’un film qui raconterait son histoire d’amour d’il y a vingt ans, qui serait de fait le remake d’Un homme et une femme. Les niveaux de narration se superposent, noyant un peu les retrouvailles entre les deux anciens amants… Lelouch reconnaîtra que le film est touffu et qu’il aurait été plus malin de jouer la carte de la simplicité en mettant Anne et Jean-Louis à table, pour les écouter parler… D’une certaine manière, c’est ce qu’ils feront dans le parc de la maison de retraite des Plus belles années d’une vie.

2019 Les Plus belles années d’une vie est un aboutissement. Difficile d’imaginer qu’il puisse donner lieu à un nouvel épilogue. Mais c’est peu dire que nous sommes émus de retrouver les deux amants. Comme ils le sont eux-mêmes. Bien sûr ils ne batifolent plus, mais la force du non-dit, la ferveur des sourires échangés, la puissance de l’imaginaire suffisent à leur faire mesurer que s’ils n’ont jamais vécu ensemble, leur rencontre a suffi à éclairer toute leur existence.

Yves Alion

 

 

 




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