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Publié le 14 mai, 2014 | par @avscci

Critique – Snowpiercer de Bong Joon-Ho

Mutation et hybridation du film de science-fiction

Bong Joon-Ho signe un film de science-fiction à grand
spectacle qui subvertit avec audace et talent le genre du
blockbuster, renouvelle le genre et le consacre parmi les
cinéastes coréens – et maintenant internationaux – les
plus doués et les plus passionnants de sa génération.

PAR LAURENT AKNIN

Sans préjuger de son succès public et commercial, Snowpiercer est presque un cas d’école sur les métamorphoses que subit actuellement le cinéma de fantasy, au sens le plus large du terme. On le sait, la saison 2013 a été particulièrement meurtrière pour la plupart des blockbusters hollywoodiens, conformément d’ailleurs à une prédiction de Steven Spielberg qui annonçait avec raison une prochaine crise de ce système. De fait, les victimes ont été nombreuses (comme le « bide » historique de Lone Ranger, faisant écho à celui, l’année précédente, de John Carter) et plus encore les déceptions. Même l’attelage Christopher Nolan / Zack Snyder n’a pas pu livrer un film à la hauteur des attentes (Man of Steel). Or voici que surgit à toute allure un film de science-fiction à grand spectacle qui tranche enfin, par son originalité visuelle, par l’audace de son concept, et par ses qualités d’écriture et de mise en scène, sur toute une saison de produits générés par ordinateur – et nous parlons ici autant des scripts que des effets spéciaux numériques.

Snowpiercer photo Snowpiercer Ltd
© Snowpiercer Ltd

Or, si Snowpiercer est un film radicalement original, il l’est en premier lieu par son origine ainsi que par ses conditions de production : il s’agit d’un film « génétiquement modifié ». Voici donc une production coréenne, tournée en langue anglaise. Le film réunit des comédiens d’origines diverses, qui vont du très hollywoodien Chris Evans (le « Captain America » de la franchise Marvel, qui apparaît aussi dans The Avengers) à Tilda Swinton en passant par John Hurt ou Ed Harris, et des comédiens coréens comme Song Kang-ho. Le film a été entièrement tourné en République Tchèque, dans les studios Barrandov. Et, pour finir, le film s’appuie sur une bande dessinée française en trois volumes, déjà relativement ancienne : Le Transperceneige, crée par Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette. C’est sans doute en grande partie cette hybridation de talents dirigés de main de maître par Bong Joonho, lui-même produit pour l’occasion, il faut le souligner, par la société de production de Park Chan-wook (autre alliance créative de premier choix) que tient la réussite de ce film.

Le synopsis tient en quelques lignes et renvoie à la tradition des grands classiques de la littérature de la science-fiction. L’univers proposé est celui d’un monde post-apocalyptique. À la suite d’une expérience catastrophique destinée à lutter contre le réchauffement climatique, la Terre a sombré instantanément dans une ère glacière, qui a rendu toute vie impossible. Seul subsiste un train révolutionnaire, doté d’un mouvement permanent, et qui circule en cercle sur toute la surface sans jamais s’arrêter. Cette arche d’un nouveau genre fonctionne sous la forme d’une pyramide sociale horizontale : les wagons de queue renferment les parias, les esclaves, dans des conditions rappelant des camps de concentration. Plus on se dirige vers la tête du train (en passant par des wagons dédiés à la flore, à l’eau, etc.), plus le niveau social est élevé, jusqu’au Créateur et Maître du train, prêt de la machine. Après plusieurs tentatives avortées, une nouvelle révolte se prépare et éclate dans les derniers wagons. Les proscrits entament une guerre pour accéder au wagon de tête… On devine bien sûr instantanément les possibilités cinématographiques ainsi que les défis de réalisation qui découlent ontologiquement d’un tel concept. Tout le film est un huis clos en mouvement, figure paradoxale de tous les « films de train » poussée ici à son maximum.

snowpiercer-2
© Snowpiercer Ltd

D’un autre côté, Snowpiercer est aussi le récit d’une quête, donc d’un voyage, chaque étape étant représentée par un nouveau wagon avec les découvertes et les pièges qui s’y trouvent. Mais jamais encore le récit d’une quête aventureuse (d’abord d’un groupe, puis de quelques-uns, et enfin d’un seul) n’avait été à ce point rétréci à sa plus simple expression. Il s’agit ici, nécessairement, d’un mouvement horizontal continu, et de rien d’autre. Bong fait de cette limitation une prodigieuse source d’inspiration visuelle, changeant d’univers à chaque wagon, renouvelant sans cesse les idées de cadre et de mouvement de caméra. On sent même par moments l’influence de Park lors de certaines séquences de combat (avec cette figure du déplacement latéral du combattant en marche qui semble sortir tout droit de Old Boy !). Snowpiercer prend ainsi une allure presque anthologie, tant les univers internes au train sont variés, les inventions et les audaces visuelles nombreuses. Mais c’est là sa grande force, Bong ne se limite pas à ce simple exercice de style. La richesse des personnages, leur ambiguïté (il est difficile de trouver  un caractère véritablement positif, et Chris Evans est ici bien loin de son image de super héros « Marvel ») renforcent le caractère étonnamment réaliste de cette fable insensée. De plus, si le scénario est évidemment métaphorique, il finit par prendre le spectateur au piège d’une lecture trop évidente.

Dans un premier temps, l’allégorie est limpide. Passé le premier message d’avertissement écologique, le train symbolise avec évidence les différences sociales écrasantes, les mécanismes d’exploitation et plus largement même une forme de situation géopolitique planétaire résumée en une arche post-apocalyptique, dans la grande tradition des mondes futurs infernaux ou dystopiques. Cependant, partant du thème classique de la révolte des esclaves façon Spartacus, le film glisse progressivement vers une remise en cause même de ce modèle. De manière incisive, la dernière partie instaure le doute et la distance. De métaphore limpide et quelque peu primaire, Snowpiercer se transforme alors pratiquement en réflexion politique et philosophique, et s’interroge tout à la fois sur l’origine et la fonction des révoltes ainsi que sur l’utilisation et même la fabrication des mythes par une instance dirigeante et totalitaire. Cet esprit critique ne surprend guère venant de Bong Joon-ho, tant ses films précédents et en particulier ses grands « films de genres revisités » tels que Memories of murder et surtout The Host, relevaient du même exercice. Il aboutit ici à un pessimisme presque radical, la catastrophe finale et inévitable n’étant adoucie que par une fin ouverte à la fois symbolique et énigmatique. ■

LAURENT AKNIN

Snowpiercer, le Transperceneige, film coréen de Bong Joon Ho (2013)
Scn. : Bong Joon Ho, Kelly Masterson, d’après la bande dessinée de Lob et Rochette. Dir. Ph.: Alex Hong Kyung-Pyo. Déc. : Ondrej Nekvasil. Mont. : Changju Kim. Mus.: Marco Beltrami.
Dist : Wild side / Le Pacte. Durée : 2h 05.
Int. : Chris Evans (Curtis), Song Kang-Ho (Namgoong Minsoo), Ed Harris (Wilford), John Hurt (Gilliam), Tilda Swinton (Mason), Jamie Bell (Edgar), Octavia Spencer (Tanya).
Sortie France: 30 octobre 2013.

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