Critique – I am not a Witch de Rungano Nyoni

Exotique descente aux enfers à laquelle nous invite ce film ethnographique qui prend pour cadre une Afrique dont certains documentaires de Jean Rouch ont immortalisé les us et coutumes ancestraux en proie à la superstition. Une terre sur laquelle les sorcières sont exposées à la vindicte publique comme des bêtes sauvages et parées d’interminables rubans de couleur. Une gamine de neuf ans soupçonnée d’appartenir à cette engeance maudite voit ses rêves d’avenir anéantis et son innocence pervertie. Car si elle tente de s’enfuir, la vindicte populaire affirme qu’elle se changera en chèvre… Avant même d’avoir pu jouir des plaisirs de l’existence et savourer l’innocence de son âge. Le message du premier film de Rungano Nyoni évoque celui des Sorcières de Salem d’Arthur Miller. Il a à voir avec l’intolérance et le poids des préjugés. I am not a Witch séduit par sa virtuosité impressionnante et sa volonté de dénoncer des pratiques anachroniques à travers une forme résolument attrayante. La mise en scène transgresse les règles du réalisme, sans pour autant évacuer le quotidien (incarné par un policier dépassé), et s’appuie sur un phénomène d’un autre âge pour en tirer une sorte de conte moderne, en sublimant les artifices du cinéma. Dans la réalité, le sort réservé aux femmes convaincues d’être des sorcières est plus sordide. Née en Zambie, la réalisatrice a grandi au Pays de Galles avant de s’installer au Portugal. Elle porte donc un regard très personnel sur la terre de ses ancêtres.

Jean-Philippe Guerand

Film zambien de Rungano Nyoni (2017), avec Margaret Mulubwa, Henry B.J. Phiri, Travers Merrill. 1h 34.