Critiques de films Affiche Everything will be fine de Wim Wenders Avant-Scène Cinéma 622

Publié le 27 avril, 2015 | par @avscci

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Critique Everything will be fine de Wim Wenders

Wim Wenders, le retour en grâce

Après plusieurs films décevants, Wim Wenders retrouve son inspiration avec un film à la fois modeste et ambitieux : une sorte de mélodrame ouaté et mystérieux tourné en relief. Il poursuit ainsi sa mutation artistique entamée depuis plusieurs années, tout en réaffirmant sa foi dans le pouvoir du cinéma à explorer les mystères de l’âme humaine.

PAR LAURENT AKNIN

Depuis déjà une dizaine d’années, l’itinéraire cinématographique de Wim Wenders a pris un cours tout aussi sinueux que celui de ses premiers road movies, engendrant une certaine déception parmi ses admirateurs, ou tout simplement chez les cinéphiles amateurs d’une œuvre riche et variée, ornée de plusieurs chefs-d’œuvre. Pour résumer l’« état des choses », le cinéaste semblait de plus en plus à l’aise dans la forme du récit documentaire, qu’il pratique de longue date, avec quelques films récents particulièrement remarqués : Pina en 2011, ou le récent Sel de la Terre. Par contre, Wenders paraissait ne plus trouver ses marques dans le film de fiction. En témoignent des films décevants tels que Rendez-vous à Palerme en 2008 ou Don’t come knocking en 2005, dont on se rappelle encore l’accueil réfrigéré reçu à Cannes, puis lors de sa sortie en salles. C’est donc il faut l’avouer avec une certaine inquiétude que l’on attendait ce retour à la fiction qu’est Every thing will be fine, et la surprise n’en est que plus grande. Il semble avec ce film retrouver un Wenders régénéré, certes très différent de celui de ses films cultes des années quatre-vingt, mais de nouveau en possession de son art du récit, de l’ambiance, et de cette sensibilité indicible qui lui appartient en propre.

Du scénario…

Plusieurs éléments, certains assez nouveaux chez lui, peuvent expliquer ce retour et cette réussite ; parmi ceux-ci, l’un s’appelle le scénariste, l’autre le directeur de la photo. Car, il faut le rappeler, Wenders sait s’entourer avec soin.

Le scénariste, donc, se nomme Bjorn Olaf Johannessen et il est l’auteur à part entière du script, un événement dans le cinéma de Wenders qui est la plupart du temps soit son propre scénariste, soit l’auteur du sujet original. Le thème de base est on ne peut plus simple. Au Canada, un jeune écrivain en panne d’inspiration et en difficulté dans son couple tue un jeune garçon dans un accident dont il n’est en rien responsable. Commence pour lui une descente aux enfers, suivie d’une curieuse renaissance qui le mène jusqu’au succès, tant sur le plan de sa carrière littéraire que sur celui de sa vie privée et amoureuse – avec toujours une ombre sur ses épaules. Si ce récit semble simple et linéaire, Johannessen le développe d’une manière subtile et complexe. Le récit se poursuit sur plus d’une dizaine d’années, avec des ellipses vertigineuses. Chaque grande séquence temporelle se clôt sur elle-même comme une pièce autonome, chaque relance oblige le spectateur à combler les manques et les hiatus dans la narration. Wenders, très subtilement, n’insiste pas sur l’inscription du passage du temps sur les personnages. Pas de maquillage, seulement des changements de coiffure, des lunettes, d’autres habits, et des enfants qui grandissent.

wim wenders et james franco

Si ces enfants servent de repères, c’est d’ailleurs un paradoxe énigmatique, puisque Tomas, l’écrivain, ne peut pas en avoir – il sera par contre entouré et affecté dans sa vie par ceux des autres. Mais ces enfants et leurs mères sont tout aussi énigmatiques, car ils ne font que révéler l’absence des pères. Tomas ne peut être qu’un père de substitution, et son propre père est un homme déclinant, de plus en plus « absent » en raison de la maladie. Les trois femmes qui jalonnent l’histoire de Tomas ont des enfants sans que jamais on ne voie ou on ne sache qui sont ou qui ont été leurs maris ou leurs compagnons. Cette étrangeté, jamais expliquée, va de pair avec le décor : un Québec insolite où on ne parle qu’anglais, et qui semble se partager en deux pôles : Montréal, presque méconnaissable, et un village près du fleuve où on ne peut accéder que par ferry.

… à l’image en 3D

L’autre nouveauté dans l’univers wendersien est donc le directeur de la photographie choisi pour ce film. On sait à quel point ce poste est primordial dans le cinéma de Wenders, et on se rappellera sa collaboration avec Henri Alekan. Ici, il s’agit de Benoît Debie, qui a précédemment travaillé sur les films de Gaspar Noé et plus récemment sur le Lost River de Ryan Gosling. Il est peu de dire que son travail est une nouvelle fois extraordinaire, d’autant plus que Wenders a fait le choix de tourner en 3D. Ce format, qu’il a déjà utilisé pour son documentaire sur Pina Bausch, peut paraître incongru pour ce qui est somme toute un drame intimiste. Au contraire, le résultat est tout à la fois brillant et parfaitement justifié au regard des choix de mise en scène et de lumière. Aidé par la 3D, Wenders et Debie parviennent à créer un univers mouvant et incertain, parfaite transposition de la psyché de Tomas. Wenders, tout au long du film, multiplie les reflets, les cadres dans le cadre, happant ses protagonistes dans une matière filmique en perpétuelle mutation, d’autant plus qu’il n’y a dans tout le film aucun plan fixe. La lenteur des mouvements ainsi que leur permanence, les reflets, les flous, les flocons de neige, tout concourt ainsi à signifier que Tomas, malgré sa réussite littéraire (il est couvert de récompenses) et son bonheur personnel, s’est tout entier bâti psychologiquement sur un terrain meuble et instable, et sur des questions qu’il devra finir par résoudre. Comment faire un deuil et surtout comment se pardonner ? Comment accepter qu’une tragédie ait pu servir de « déclic » pour que naisse un réel talent ? Sans oublier le principal paradoxe et le nœud tragique de son histoire : un artiste qui ne peut avoir d’enfant se révèle après en avoir accidentellement tué un.

Au fur et à mesure du déroulement du film, tous les grands thèmes « wendersiens » (l’enfance, les questions de la foi et du mysticisme, la création artistique, l’errance intérieure) reviennent comme en mode mineur, accompagnés par la partition originale d’Alexandre Desplat. La beauté du film tient aussi sans doute à cette forme de discrétion, reflétée par le jeu de l’ensemble des comédiens – et surtout des trois femmes, sorte de ternaire magique autour duquel va se bâtir le romancier enfermé en lui-même jusqu’à ce qu’enfin il accepte une véritable confrontation, lors d’un « face à face » décisif.

Film/ Every Thing Will Be Fine

Retours et transmissions

On trouve aussi, encore et toujours, dans le cinéma de Wenders ce goût et ce besoin de la transmission, du passage : d’un personnage à un autre, comme c’est le cas ici, mais aussi d’un artiste à un autre. Il y a de cela presque trente ans, lors d’un festival à… Montréal, Wim Wenders avait préféré transmettre un prix qu’on lui remettait à un jeune cinéaste qui l’avait étonné et enthousiasmé : Atom Egoyan. Est-ce seulement le cadre « canadien » de son film ? Toujours est-il que ce nouvel opus de Wenders semble lui-même être un héritier du cinéma d’Egoyan du temps de ses propres grands films. On y retrouve en tout cas ce qui lie en grande partie ces cinéastes : le dépassement et la sublimation du mélodrame, la maîtrise d’une forme quasi hypnotique du cinéma, associée à un véritable humanisme poétique. Ce que l’on appelle du grand art.

Laurent Aknin

Réal. : Wim Wenders. Scn. : Bjorn Olaf Johannessen. Dir. Phot. : Benoît Debie. Stéréographeuse : Joséphine Derobe. Dist. : Bac Films.
Avec James Franco, Charlotte Gainsbourg, Rachel McAdams, Marie-Josée Croze, Patrick Bauchau.
Durée : 1h55. Sortie France : 22 avril 2015.




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