Publié le 11 décembre, 2017 | par @avscci
0Critique – A Ghost Story de David Lowery
La vie des morts
Aujourd’hui nettement moins en vogue que le vampire et le zombie, le fantôme reste une figure éternelle du bestiaire fantastique dont la matérialisation va d’un extrême à l’autre, dans un grand écart acrobatique entre Casper (1995) de Brad Siberling, version comique, et Les Autres (2001) d’Alejandro Amenábar, versant poétique. Son odyssée littéraire et cinématographique semble inépuisable. Avec A Ghost Story, David Lowery revient à sa représentation la plus prosaïque : une silhouette de drap blanc percée de deux trous mais dépourvue de regard, alors même que c’est précisément par les yeux qu’est censée passer l’émotion. Or, les sentiments, ce film simple jusqu’au dépouillement n’en est pas avare, bien qu’il exalte à dessein la contemplation. Il ose en effet prendre son temps et s’installer dans la durée avec une poésie surprenante dont le cinéma américain abreuvé d’effets spéciaux semble malheureusement avoir perdu le secret. Le postulat est simple : un jeune couple vit en parfaite harmonie dans une maison préfabriquée qui est devenu son nid. Jusqu’au jour où survient une tragédie qui laisse l’épouse inconsolable, tandis que le fantôme du défunt l’observe en silence, impuissant à modifier le cours des choses et surtout à manifester sa présence auprès de celle qu’il continue à aimer. Pour la consoler autant que pour se rassurer et bien qu’il la voie lui échapper au gré de sa mémoire.
Le postulat est simple : un jeune couple vit en parfaite harmonie dans une maison préfabriquée qui est devenue son nid. Jusqu’au jour où survient une tragédie qui laisse l’épouse inconsolable, tandis que le fantôme du défunt l’observe en silence, impuissant à modifier le cours des choses et surtout à manifester sa présence auprès de celle qu’il continue à aimer. Pour la consoler autant que pour se rassurer et bien qu’il la voie lui échapper au gré de sa mémoire.
Comme Robin Campillo en avait tenté l’expérience dans Les Revenants, dont la série a gommé la dimension philosophique, le fantastique est ici abordé d’un point de vue strictement psychologique. La mort y est envisagée avant tout comme une sorte de trou noir, le scénario se gardant bien de prendre parti quant à une puissance éventuelle de l’âme et prenant en fait le contrepied des mythes tels que celui de Tristan et Yseult sur l’amour éternel. L’enjeu habituel des films mettant en scène des fantômes réside dans leur perception des spectres par les protagonistes, le comique ou le tragique naissant du décalage des regards, dans des classiques aussi divers que L’Aventure de Madame Muir (1947) de Joseph L. Mankiewicz, Fantôme à vendre (1935) de René Clair voire Ghost (1990) de Jerry Zucker, Sixième sens (1999) de Night M. Shyamalan et toute une tradition asiatique.
Dans A Ghost Story, les personnages sont désignés par des lettres : Casey Affleck campe C (l’initiale de son prénom), tandis que Rooney Mara incarne M (la première lettre de son nom). Comme pour mieux souligner leur statut d’archétypes universels. Leur quotidien est d’une simplicité vertigineuse. Une fois dans l’au-delà, c’est-à-dire revêtu de ce suaire qu’on jurerait découpé dans un vieux drap, C devient le témoin silencieux du quotidien de M. Effet garanti : son impuissance s’avère d’autant plus poignante que sa disparition si brutale ne lui a pas laissé le temps de préparer son départ et qu’il aimerait trouver le moyen de la réconforter post mortem en rétablissant le contact, aussi ténu puisse-t-il être. Ici le désespoir sourd de détails infimes et de cette incommunicabilité qui creuse un fossé entre des êtres murés malgré eux dans une solitude étouffante. Situation rendue encore plus inextricable du fait que l’un d’entre eux, désormais immatériel, n’existe plus que par… son absence. Jusqu’à une happy end qui s’inscrit comme l’un des plus déroutantes de toute l’histoire du cinéma et nous fait venir irrépressiblement les larmes aux yeux. Pour la simple raison qu’elle évoque rien moins que la mort de l’amour et la force du destin. Sujet universel s’il en est.
A Ghost Story réunit deux des acteurs les plus atypiques de leur génération : Rooney Mara, aussi bouleversante dans Carol que dans Song to Song, et Casey Affleck, déjà déchirant dans Manchester by the Sea. De leur alchimie étonnante, dont le réalisateur David Lowery avait déjà pu éprouver la magie dans Les Amants du Texas (2013), naît un couple à fleur de peau que tout unit et que tout sépare. Une sorte de miracle sentimental sous haute surveillance qui s’inscrit dans la lignée de l’écrivain Henry James par sa volonté de suggérer davantage que d’exposer. À une époque où le cinéma américain résonne de pétarades et de tonitruances, cette œuvre de chambre séduit par l’audace de ses silences assourdissants et de ses non-dits éloquents. C’est au spectateur qu’elle laisse le soin de remplir ses points de suspension. La force de suggestion de ce film repose précisément sur la considération qu’il accorde à ceux qui le regardent, sans jamais chercher à diriger leur regard. Il s’établit ainsi une sorte de connivence indicible entre l’histoire universelle qu’il raconte (la perte d’un être cher et la douleur de la reconstruction) et notre vécu. Comme si David Lowery nous tendait un miroir dans lequel chacun voit apparaître des reflets différents en fonction de sa personnalité. L’expérience est singulière et s’apparente à une introspection interactive autour du travail de deuil. A Ghost Story nous invite à un envoûtant voyage intime.
Jean-Philippe Guerand
Réal. : David Lowery. Scn. : David Lowery. Dir. Phot. : Andrew Droz Palermo. Mus. : Daniel Hart. Mont. : David Lowery. Déc. : Jade Healy et Tom Walker. Cost. : Annell Brodeur.
Int. : Casey Affleck, Rooney Mara, McColm Cephas Jr., Kenneisha Thompson, Richard Krause.
Prod. : Adam Donaghey, Toby Halbroks, James J. Johnson et Liz Cardenas Franke pour. Dist. : Universal Pictures.
Durée : 1h32. Sortie France : 20 décembre 2017.