Deux sœurs de Mike Leigh
Comment bâtir un film autour d’un personnage foncièrement antipathique ? Rares sont les cinéastes en mesure de résoudre cette équation à haut risque. C’est le cas de Mike Leigh qui s’attache dans son nouvel opus à une mère de famille en colère contre tout le monde : son mari discret qui travaille comme entrepreneur, son fils en surpoids qui passe son temps reclus dans sa chambre et plus encore sa sœur avec laquelle elle entretient des relations écrasées par trop de non-dits. L’audace de ce film est de nous présenter cette femme en colère au quotidien sans qu’on connaisse la véritable raison de son mal-être et de son agressivité. On peut aisément être rebuté par une proposition aussi radicale. Le cinéma s’accommode davantage de l’empathie que du rejet. C’est méconnaître la qualité du regard du réalisateur qui fait appel à l’interprète de la fille en quête de sa mère biologique de Secrets et Mensonges (1996) pour tenir un emploi aux antipodes qui donne la pleine mesure de son talent. Cette fois, c’est son mal être qui suscite davantage de pitié que de compassion et même bien plus encore, sans doute parce qu’on se dit que si cette femme avait évolué dans un milieu social plus favorisé, son entourage l’aurait orientée vers le divan d’un psy. Deux Sœurs est une tragédie intime réglée au cordeau où le moindre mouvement de caméra reflète cette fameuse affaire de morale que pointait Godard. Une leçon de mise en scène orchestrée par un cinéaste parvenu à une maîtrise totale de son art qui est convaincu que toutes les vérités sont bonnes à dire. À commencer par les moins flatteuses.
Jean-Philippe Guerand
Hard Truths. Film hispano-britannique de Mike Leigh (2024), avec Marianne Jean-Baptiste, David Webber, Michele Austin, Tuwaine Barrett 1h37.