Black Box Diaries de Shiori Itō
En 2015, la journaliste japonaise Shiori Itō est droguée puis agressée sexuellement par Noriyuki Yamaguchi, alors chef du bureau de Washington de la chaîne de télévision Tokyo Broadcasting System, et proche du premier ministre de l’époque, Shinzo Abe. Faisant face à l’omerta qui entoure les affaires de viol au Japon, ainsi qu’à une violente campagne de dénigrement allant jusqu’à des menaces de mort, la jeune femme décide de documenter l’affaire à travers un livre et un film qui suivent à la fois les grandes lignes de l’enquête judiciaire et son propre ressenti face à ce qui s’avère un processus dévastateur. Si l’on sent bien que la réalisatrice s’inspire d’une certaine veine du documentaire anglo-saxon qui se construit volontairement sur l’émotion – elle n’hésite pas pour cela à se mettre en scène frontalement dans ses moments de doute ou de désarroi – le film est évidemment un outil précieux pour comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans cette affaire particulière (d’abord on tente de la décourager de porter plainte, puis le travail des enquêteurs est volontairement freiné en interne, ensuite le mandat d’arrêt émis contre l’accusé est suspendu à la dernière minute, et enfin la plainte est classée sans suite), et plus largement dans les enquêtes judiciaires du même type. Ce que cherche à prouver Shiori Itō, c’est ainsi moins son statut de victime (évident au vu des preuves accablantes qu’elle réunit, et du témoignage même de l’accusé, acculé à s’expliquer lors d’une audience administrative) que le dysfonctionnement organisé d’un système qui protège sciemment les siens, quels que soient leurs crimes. En cela, Black Box Diaries est une œuvre brûlante et indispensable pour alerter sur une situation qui n’a que trop duré, au Japon comme ailleurs.
Marie-Pauline Mollaret
Film documentaire japonais de Shiori Itō (2024), 1h42.