Avec amour et acharnement de Claire Denis

Après avoir collaboré avec Christine Angot sur le scénario d’Un beau soleil intérieur en 2017, Claire Denis adapte cette fois le roman Un tournant de la vie (2018) de l’écrivaine, qui raconte le trouble dévastateur saisissant la narratrice lorsque son ancien amant resurgit à la fois dans sa vie et dans celle de son nouveau compagnon, dont il était le meilleur ami. Pour incarner ce complexe trio amoureux, la réalisatrice a à nouveau fait appel à sa comédienne d’un si beau soleil intérieur, Juliette Binoche, ainsi qu’à deux habitués de son cinéma : Vincent Lindon et Grégoire Colin, qui apportent chacun à sa manière une forme de magnétisme et de puissance physique inquiétante.

Comme dans le roman, le récit oscille sans cesse entre cette piste d’un polar vénéneux dans lequel tout le monde semble cacher son jeu et celui, plus lisible, d’une passion dévorante qui renverse tout sur son passage. Cela le rend assez insaisissable – mais aussi parfois un peu artificiel. Les intrigues parallèles (notamment la relation de Jean avec son fils ou son passé trouble) semblent en effet de simples éléments de contexte qui n’intéressent pas plus la réalisatrice que les personnages, et viennent inutilement parasiter le cœur de l’intrigue. De la même manière, certains dialogues viennent inutilement surligner les émotions ou les enjeux de l’histoire.

Là où Claire Denis convainc finalement le mieux, c’est lorsqu’elle se concentre véritablement sur ses personnages, souvent dans des plans très serrés qui exhalent le désir mal contenu, ou la rage impuissante face à l’impossibilité de comprendre l’autre et de se faire comprendre par lui. Sa mise en scène libre et en apesanteur (qui lui a d’ailleurs valu un prix à Berlin) offre alors au film quelques accents sublimes, rehaussés par la mélancolie déchirante des Tindersticks.

Marie-Pauline Mollaret

Film français de Claire Denis (2021) avec Juliette Binoche, Vincent Lindon, Grégoire Colin. 1h56