Aimer perdre de Harpo et Lenny Guit
Le cinéma raffole des losers. Ils semblent paradoxalement plus propices à l’imagination que les winners. Ne serait-ce que parce que ce sont les gagnants qui dirigent le monde et que comme l’affirme une maxime empreinte de sagesse, l’histoire est écrite par les vainqueurs. Outre un patronyme difficile à porter, Armande Pigeon est une zonarde professionnelle que son instinct ne risque pas d’attirer vers les sommets, dans la mesure où elle possède un tempérament de joueuse et manifeste un goût prononcé pour le risque. Le seul hasard qui l’effraie est celui d’une rencontre qui pourrait aboutir à l’amour. Comme son titre ironique le souligne justement, Aimer perdre est le portrait d’une fille attachante qui ne fait rien comme tout le monde et se satisfait de sa situation pourtant assez peu reluisante. Les frères Harpo et Lenny Guit qui revendiquent l’influence croisée des documentaires d’Agnès Varda et de l’émission de reportages Strip-tease ont d’ailleurs œuvré pour donner à leur film l’allure d’un brouillon hybride à l’esthétique faussement relâchée qui reprend certains codes des réseaux sociaux et a été obtenu à l’aide de téléphones rudimentaires. Cette comédie disruptive portée par une interprète époustouflante, Maria Cavalier-Bazan, est constamment en décalage par rapport aux situations qu’elle traverse, face à des partenaires souvent déroutants, dont l’impayable Michael Zindel révélé dans le rôle-titre du Dernier des Juifs, la chanteuse des Rita Mitsouko, Catherine Ringer, et même un Melvil Poupaud à contre-emploi. Rien n’est vraiment d’équerre dans ce monde fou, fou, fou…
Jean-Philippe Guerand
Film belge de Harpo et Lenny Guit (2024), avec Maria Cavalier-Bazan, Axel Perin, Michael Zindel, Catherine Ringer. 1h26.