Publié le 6 juillet, 2016 | par @avscci
0Actu Livres : Michaux et le cinéma & Desnos et le cinéma
Certains se souviennent peut-être de la première page du quotidien Libération, le lundi 22 octobre 1984. Première page coupée en deux. En haut, un gros titre : MICHAUX EST MORT, et une photo du poète. En bas un second gros titre, TRUFFAUT EST MORT, et une photo du cinéaste. Ce hasard objectif, pour parler comme Breton, on peut y repenser avec la publication d’un Michaux et le cinéma, dans une collection dont nous avons déjà parlé en décembre dernier, à la sortie des volumes sur Aragon et Brunius. Ce livre sur Michaux, aussi dynamique que le cinéma lui-même, est écrit par Anne-Elisabeth Halpern et montre combien, de 1923 à sa mort, le poète n’a cessé de se confronter à l’outil cinéma. Il n’a jamais eu lui-même d’activité cinématographique, hormis un documentaire sur la drogue construit avec Éric Duvivier, neveu de Julien, en 1963. Documentaire nécessairement décevant, aucune technique ne pouvant suggérer avec justesse l’hallucination psychédélique, la célérité et la multiplicité des écrans intérieurs de la drogue. Pas d’activité cinématographique, mais dès ses premiers écrits, célébration de Charlot. Comme nombre de ses contemporains d’avant-garde, Michaux sut reconnaître son absolue modernité. Halpern cite Jean Epstein, qui écrivait à propos du cinéma : « Où apparaît la moindre secousse fibrillaire et où un homme qui n’a même pas besoin de jouer, me ravit, parce que, simplement homme, le plus bel animal de la terre, il marche, court, s’arrête et se retourne parfois pour tendre son visage en pâture au spectateur vorace. » L’influence d’Epstein se retrouve dans ces mots de Michaux : « Entre nous et Charlie est une différence de vitesse. Il est un homme accéléré. Ses actes sont souvent très banals, mais il en fait quatre pour nous un. Une puce parmi les fourmis. » Harpern ajoute à bon droit : « Ce style “coq-à-l’âne” célébré en Chaplin, est celui dont le poète rêve pour lui-même et, toujours, il s’enjoindra de lutter “contre le bourgeonnement” et d’“écrire plutôt pour court-circuiter”, épris qu’il est – et demeurera – de ces incongruités, ruptures turbulences et invraisemblances en toute liberté qu’a apportées ce cinéma comique des premières décennies du XXème siècle. » Les textes évocateurs du cinéma iront jusqu’à la veille de sa mort, avec « Une foule sortie de l’ombre ». Il y évoque la circulation magique entre le spectateur et les acteurs de l’écran, trois ans avant la sortie de La Rose pourpre du Caire. Comme le précédent livre de Luc Vigier à propos d’Aragon, cet ouvrage sur un poète non-cinéaste ouvre de passionnantes perspectives à une pensée véritablement transversale de l’art cinématographique.
Il sort en même temps qu’un Desnos et le cinéma, écrit par Carole Aurouet, directrice de cette nouvelle collection. Desnos fut un véritable critique, un précurseur intellectuel, mais aussi l’auteur d’une vingtaine de « ciné-textes », presque tous inédits de son vivant. C’étaient les films que le poète rêvait de voir apparaître, des films projetés sur un écran imaginaire. Là aussi, le nombre de documents, de données biographiques et poétiques sur un homme d’une sensibilité absolument moderne, confirme la justesse des choix de cette collection. On annonce maintenant Breton, Duras, Queneau, Fondane. On les attend impatiemment.
René Marx
Michaux et le cinéma / Desnos et le cinéma, collection Le Cinéma des poètes, Éd. Jean-Michel Place