Publié le 13 décembre, 2018 | par @avscci
0Actu Livres – Marcello Pagliero par Jean A. Gili
Au fond, Marcello Pagliero est un inconnu. Et Jean A. Gili lui consacre 297 pages. En historien, soucieux de fouiller dans la mémoire fragile du cinéma. Ce qui reste de Pagliero aujourd’hui, c’est son interprétation dans Rome ville ouverte du résistant communiste assassiné par les Nazis. L’immense intérêt du livre de Gili, précis, extrêmement documenté (il n’existe pas d’autre livre sur Pagliero) est de suivre pas à pas un homme presque insaisissable, fuyant, et de considérer les 73 années de sa vie en n’oubliant aucune de ses contradictions. Né à Londres en 1907, père italien, mère française, il fut tour à tour Marcello ou Marcel, première incertitude d’une vie qui en compta beaucoup. À Rome, pendant les années de guerre, ses amis sont Roberto Rossellini, Sergio Amidei, Ennio Flaiano. C’est la vie de café, là où se prépare l’avenir glorieux du cinéma italien, là où tout se construira. La solidarité, la complicité intellectuelle, la chaleur humaine donneront naissance à d’exceptionnelles aventures artistiques. Déjà Pagliero est difficile à cerner. Il tourne quelques films, est présent avec sa caméra en 1944 à l’exhumation terrifiante des victimes du massacre des Fosses ardéatines. Et il est le metteur en scène d’une œuvre magnifique, méconnue, Rome ville libre (1946), dont le titre incongru après le film de Rossellini compromit sans doute la mémoire. C’est un récit nocturne, d’une forme surprenante, des plans longs, des souvenirs du réalisme poétique français, avec un mystérieux et charmant Vittorio De Sica amnésique et la patte d’Ennio Flaiano, qui sera quinze ans plus tard le scénariste de La Dolce Vita, une autre errance romaine profondément mélancolique. Sartre fait venir Pagliero à Paris et l’Italien redevient français pour jouer dans Les jeux sont faits de Delannoy, dans Dédée d’Anvers d’Yves Allégret. Le comédien redevient metteur en scène pour plusieurs films oubliés aujourd’hui, à part sans doute Un homme marche dans la ville (1950). Ce film fut bizarrement boycotté par les communistes français, et Gili explique très bien cette bizarrerie. Il est extrêmement précis pour rendre compte des aventures parisiennes de Pagliero, comme acteur, comme cinéaste et aussi comme figure importante de Saint-Germain-des-Prés. À Rome, dans les années 1940, à Paris dans les années 1950, Pagliero crée, hésite et les terrasses de café se ressemblent finalement. Allers-retours entre Rome et Paris, films improbables, inégaux, deux derniers films comme metteur en scène, un tourné en Nouvelle-Guinée, l’autre en Sibérie ! Œuvres pratiquement invisibles aujourd’hui, que Gili documente avec un soin particulier. La vie de Pagliero, mort à Paris en 1980, après quelques apparitions comme comédien au cinéma dans les années 1960 (Le Bel Âge, Les Gauloises bleues) ou quelques incursions à la télévision, c’est Jean A. Gili qui conclut ainsi, mériterait un roman. Ce livre nous fait suffisamment rêver à son destin si particulier pour en tenir lieu. n René Marx
Marcello Pagliero, l’Italien de Saint-Germain-des-Prés, de Jean A. Gili, AFRHC, 297 pages.