Publié le 21 septembre, 2016 | par @avscci
0Actu dvd septembre 2016 – 5 films français récents
Commençons par celui des cinq films de notre sélection qui a massivement rencontré l’oreille du public : Médecin de campagne. Le troisième long métrage de l’ex-docteur Thomas Lilti s’inscrit dans la continuité logique du précédent, Hippocrate, en évoquant la grandeur et les servitudes d’un métier particulièrement ingrat, à travers la personnalité d’un médecin de campagne chargé de former sa future remplaçante, alors même qu’il se découvre atteint d’un mal incurable. Un sujet qui alimentait déjà la réflexion de La Maladie de Sachs tiré par Michel Deville du best-seller de Martin Winckler, sans même mentionner la célèbre série télévisée des années 60 Cécilia, médecin de campagne. L’occasion d’un duel à fleurets mouchetés entre François Cluzet et la trop rare Marianne Denicourt à l’occasion duquel s’expriment tous les paradoxes du désert médical français et de ses soutiers de l’ombre confrontés à une véritable crise de vocation. L’intérêt des suppléments qui accompagnent Médecin de campagne réside d’ailleurs dans le fait qu’outre quelques scènes coupées et les sempiternelles interviews de son réalisateur et de ses deux interprètes principaux, ils questionnent des professionnels de santé sur leur situation et ancrent ainsi le film dans le contexte même qui l’a engendré. L’occasion pour le profane de mesurer la pertinence du propos à l’aune d’une situation qui va en se dégradant.
Le hasard fait bien les choses : l’un des personnages clé de Quand on a 17 ans, incarné par la toujours impeccable Sandrine Kiberlain, est également médecin de campagne. Qui est également la mère de l’un des deux ados auxquels s’intéresse André Téchiné. Le film est sans doute une histoire d’amour, un amour qui a du mal à trouver son chemin, entre deux garçons qui mettent dans un premier temps un point d’honneur à mettre en avant une hostilité de tous les instants, mais un amour véritable qui nous émeut au plus au point. Mais le film est aussi une histoire d’apprentissage, un film sur le deuil, une chronique provinciale. Téchiné est un cinéaste discret, mais dont la carrière est évidemment l’une des plus intéressantes parmi les cinéastes contemporains. Ses derniers films n’avaient pas soulevé un enthousiasme particulier, s’intéressant parfois à des faits divers ayant alimenté la chronique (ce qui n’est évidemment pas une tare en soi). Celui-ci est de toute évidence un cran au-dessus. C’est même peut-être le plus beau film de son auteur, une œuvre rare de la maturité triomphante.
L’adolescence est également au cœur des Lendemains, un premier film (signé Bénédicte Pagnot) sans doute discret, mais qui avait néanmoins été en son temps remarqué. La preuve : L’Avant-Scène Cinéma en avait fait son film du mois en avril 2013 (n°602). Le film s’attache aux pas de deux jeunes filles qui doivent trouver leur voie une fois le Bac en poche. La première est brillante, la seconde rame davantage. Pourtant c’est la première qui va emprunter des chemins de plus en plus pentus pour trouver sa vérité face à un monde qui lui semble par trop dysfonctionnel. Avec un passage par les squats, la marginalité, avant de se placer en situation d’affrontement violent avec la société telle qu’elle s’est construite. Le film est dur, mal aimable, mais il est vibrant. Et il possède une immense qualité, celle de ne pas avoir la moindre étape d’avance sur ses personnages, ce qui fait que nous avons le sentiment de vivre leurs émois, leurs renoncements, leur colères en direct, de nous intéresser à des êtres de chair et de sang et non à des créations artificielles conçues par des auteurs ayant lu Le Scénario pour les Nuls. En bonus, un très joli court métrage de la réalisatrice, Mauvaise Graine.
Tout aussi bouillonnant, Les Ogres se situe entre une version moderne du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier et La Strada de Federico Fellini. Parmi une troupe ambulante qui palpite au rythme de ses représentations itinérantes et n’hésite jamais à se donner en spectacle, faisant de chaque instant de vie un morceau d’anthologie, comme si son destin en dépendait. Cette théâtralisation permanente de la vie de bohème, la réalisatrice couronnée du Prix Louis Delluc du premier film pour Qu’un seul tienne et les autres suivront (2009) l’a longtemps partagée avec ses parents qui animent une troupe dans la région toulousaine et tiennent d’ailleurs leurs propres rôles dans Les Ogres. Léa Fehner la traduit par un cinéma en mouvement perpétuel qui joue sur la durée des plans séquences et l’alchimie entre des acteurs de théâtre rompus à l’improvisation et ces bêtes de cinéma que sont Adèle Haenel, Marc Barbé et Lola Dueñas. Dommage tout de même que ce film magnifique ne soit paré en guise de bonus que de trois scènes commentées au travers desquelles la réalisatrice dévoile quelques secrets de fabrication, en expliquant notamment comment elle encourage les irruptions du réel au sein d’un scénario pourtant très précis. On aimerait maintenant être en mesure de découvrir le making of du film et comprendre l’alchimie que provoque Léa Fehner, en approchant la substantifique moelle de sa mise en scène virtuose où tout semble soupesé, mais où la réalité et l’imprévu s’invitent à chaque instant, comme par effraction du réel. Un entretien avec Léa Fehner a été publié dans notre n°631.
Je suis à vous tout de suite possède un point commun objectif avec les deux films qui précèdent : il est signé par une femme. Baya Kasmi signe ici son premier long métrage. Mais la cinéaste n’est pas pour autant une débutante, puisqu’elle est aussi la compagne, la muse, la coscénariste de Michel Leclerc, et donc en partie responsable du Nom des gens, OVNI cinématographique dont nous n’avons pas fini d’épuiser tous les charmes (l’ASC lui a consacré un numéro, le 593). Je suis à vous tout de suite se situe d’ailleurs dans la continuité du film de Michel Leclerc, laboure les mêmes terres, explore les mêmes traumas, mais toujours en prenant le parti d’en rire. Sans doute ce film-ci insiste-il davantage sur les questions d’identité (questions qui sont aujourd’hui plus brûlantes encore qu’elles ne l’étaient au moment du Nom des gens), sans doute appuie-t-il un peu plus sur les désordres (souhaitables) que provoque une sexualité débridée dans un monde un peu coincé, sans doute perçoit-on des fêlures différentes. Mais le film n’est pas loin d’afficher une grâce identique. Un entretien avec Baya Kasmi a été publié dans notre n°626. La jeune femme possède indéniablement un univers. Ceux qui verront son court métrage (en bonus) : J’aurais pu être une pute (tout un programme de saine provocation) pourront le vérifier…
Yves Alion et Jean-Philippe Guérand
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