Publié le 16 février, 2018 | par @avscci
0Actu dvd février 2018 – Neuf westerns
À chaque nouvelle salve, on se dit que Sidonis va finir par manquer de munitions et que les westerns édités par ses soins vont bientôt cesser de nous parvenir à feu nourri. Par bonheur il n’en est rien et nous continuons à nous régaler mois après mois. Bien sûr, nombre de ces films sont des séries B (ce qui n’a rien de péjoratif), dont la durée tourne autour des 80 minutes et dont l’ambition n’est pas celle d’un Ford, d’un Mann ou d’un Hathaway. Mais certains portent pourtant la signature d’un grand du cinéma. C’est le cas cette fois-ci de Victime du destin (1953), un film de Raoul Walsh, qui n’a sans doute pas la fougue et le lyrisme de La Charge fantastique, mais affiche de belles qualités. L’histoire est celle d’un des bandits mythiques de la légende de l’Ouest, John Wesley Harding (Bob Dylan composera quelques années plus tard une chanson à sa gloire). L’essentiel du film est un long flash-back puisque tout commence quand notre homme sort de prison après seize ans de réclusion et qu’il confie à un journaliste ses mémoires… qui vont donc nous être narrées. À en croire Walsh, Harding n’est pas une tête brûlée, plutôt un type qui n’a pas eu de chance, à la fois recherché par d’implacables ennemis et par la justice. Mais notre outlaw n’étant pas un mauvais bougre, il finit ses jours à sa sortie de prison auprès d’une épouse fidèle et dévouée. Rien de cela ne correspond d’ailleurs à la vérité historique, si ce n’est que Hardin a réellement écrit ses mémoires. Mais c’était un tueur et il n’a pas fait de vieux os à sa sortie de taule. Mais comme l’on sait, si la légende est belle… Reste un film solide, avec un Rock Hudson assez fringant, pour lequel nous n’avons que compassion. Walsh lui donne en effet quitus de ses accès de violence, les expliquant par les frustrations nées de la fréquentation d’une famille rigoriste et surtout de la drôle de paix qui a suivi la guerre de Sécession (il se range ainsi dans la légende du western aux côtés des frères James, eux aussi plusieurs fois sanctifiés par Hollywood). Au-delà du personnage, c’est donc un tableau assez sombre d’une société inique et corrompue, d’un ordre social dont les dés sont pipés qui est dressé. Pour une série B, nous sommes quand même dans le haut du panier !
La même année (1953), Phil Karlson nous offre La Ruée sanglante, qui possède lui aussi de solide qualités. Le film fait partie de ceux qui décrivent la vie de garnison en territoire indien (thème cher à John Ford) et tressent des lauriers à la cavalerie. Mais même si le film est assez court et si Phil Karlson a davantage fait d’étincelles dans le film noir que dans le western, cette Ruée sanglante (très mauvais titre) sait tourner le dos au manichéisme alors encore (très souvent) en vogue à Hollywood pour laisser passer un message humaniste. Le personnage principal est un médecin militaire qui se sent davantage médecin que militaire et porte volontiers secours aux tribus indiennes (atteintes de la malaria), ce que sa hiérarchie condamne sans appel. La situation est d’autant plus complexe que l’une des femmes indiennes ayant retenu son attention est une Blanche, enlevée et élevée par ses ravisseurs. L’influence fordienne est manifeste : outre cette « Prisonnière du désert » avant la lettre (le film de Ford ne verra le jour que trois ans plus tard), l’opposition entre les militaires qui ne jurent que par le règlement et ceux qui font preuve de souplesse et d’humanité laisse percer des effluves venues du Massacre de Fort apache (qui lui est antérieur de cinq ans). Mais cela n’est pas très étonnant quand on sait que Frank Nugent, scénariste attitré du Ford de la période est aux crayons, et que le western militaire n’a pas de secret pour lui. Une pensée pour finir pour Robert Francis, épatant dans le rôle du médecin, également aperçu dans Ce n’est qu’un au revoir (Ford encore) ou Ouragan sur le Caine. Il aurait sans doute fait une belle carrière s’il ne s’était tué dans un accident d’avion à 25 ans !
Le Fouet d’argent a claqué la même année (toujours 1953), il est signé Harmon Jones, un réalisateur issu du montage (pour Hathaway, Wellman ou Kazan), qui ne mettra en scène qu’une quinzaine de films (dont le plus connu est le très kitsch Princesse du Nil). Mais force est de reconnaître qu’il se tire assez bien de ce western sans ambition dantesque qui centre son propos sur le désir d’un jeune homme de devenir conducteur de diligence. L’évocation d’une ambition (qui peut paraître modeste) et le cheminement vers la plénitude (à travers des tas d’obstacles on s’en doute) sont donc les deux mamelles de ce western attachant qui pose au passage quelques questions essentielles sur la justice, la violence et la morale. Il est vrai que le scénario est tiré d’un bouquin de Jack Schaefer, qui a également inspiré L’Homme des vallées perdues. Assez peu spectaculaire (mais l’épilogue possède une tension qui nous saisit), le film s’impose par sa sobre modestie.
Que l’on nous permette d’être moins positifs pour ce qui est du Trappeur des Grands Lacs (Sidney Salkow, 1952). Qui nous offre pourtant la perspective du dépaysement : c’est dans la région des Grands Lacs, au XVIIIe siècle, alors que la guerre entre Français et Anglais fait rage et que les différentes tribus indiennes doivent choisir leur camp, que se déroule le film. Le héros est un trappeur rangé du côté des Anglais, dont la mission est de pénétrer les lignes françaises pour espionner les mouvements ennemis. L’histoire est adaptée d’un roman de Fenimore Cooper, l’auteur du Dernier des Mohicans, qui se situe d’ailleurs dans le même contexte historique. Le problème est que notre trappeur ne semble pas avoir séjourné dans la forêt plus de dix minutes et qu’il paraît davantage sortir directement des loges du Théâtre du Châtelet, tant son costume est bien repassé et que tout est à l’avenant. Le fin du fin pour le spectateur français est d’entendre les soldats de Louis XV s’exprimer dans une langue et avec un accent qui ne peuvent provoquer que le rire (un rire pas forcément complice). Arrêtons-nous là et renvoyons plutôt celui qui veut réellement revisiter la période à Sur la piste des Mohawks, de Ford.
Nous ne sortons pas des fifties avec Le Cavalier du crépuscule (Robert Webb, 1956), dont la première particularité est de donner la part belle à la rock star ultime de la période : Elvis Presley. Qui par contrat est invité à montrer ses talents de chanteur sur quatre morceaux (dont son célèbre Love me tender). Ce qui nous vaut une très belle scène où « Elvis the pelvis » se déhanche, sa guitare dans les mains, d’une façon qui ne devait pas avoir vraiment cours en Louisiane pendant la guerre de Sécession. Nous sourions et passons cet anachronisme volontaire par pertes et profits. Car si Elvis, débutant devant la caméra, n’est pas encore à son top cinématographique (c’est peu dire), le film possède un certain charme, les aléas délétères de la fin de la guerre civile restant riches en rebondissements divers.
Mais reconnaissons que si l’on est sensible au charme du créateur de Jailhouse Rock, Les Rôdeurs de la plaine est autrement plus convaincant. Il est vrai que c’est Don Siegel qui est derrière la caméra et que nous sommes en 1960. Les quatre ans qui séparent les deux films ont été suffisants à Elvis pour imposer sa présence à l’écran. Comme il récupère un rôle qui était à l’origine prévu pour Marlon Brando, c’est avec une certaine prestance animale qu’il incarne un sang-mêlé (un père blanc, une mère indienne) pris en étau lorsque les tensions se font vives (et même sanglantes) entre tribus et colons. Le film offre sans doute quelques belles scènes d’action, mais c’est sans conteste le flottement identitaire du personnage qui nous intéresse au prime abord, une torpeur d’autant plus douloureuse au fur et à mesure que les siens sont entraînés dans la confrontation. Nous pensons au Vent de la plaine, de John Huston (qui, lui, est bien un chef-d’œuvre) qui posait quelques années plus tôt et avec quelque acuité la question du métissage. Au-delà du thème, le film offre plusieurs occasions d’applaudir la mise en scène de Siegel. À commencer par celle de la mort de la mère indienne, incarnée par Dolores Del Rio, qui blessée, se lève de son lit pour aller mourir dans la nature, avançant comme un spectre avant de se laisser tomber dans l’herbe au moment où elle sent la morsure de la « flaming star » (le titre original du film).
Il y a également une bonne dose de mélancolie dans El Texican (Lesley Selander, 1966), l’un des tout derniers films de ce réalisateur de séries B particulièrement prolifique. Mais ce sont aussi aux derniers feux d’Audie Murphy que nous assistons (il tournera encore trois westerns avant de s’éteindre cinq ans plus tard à l’âge de 45 ans). Cela étant dit, nous ne sommes pas réellement conquis : le western est entré dans sa période de décadence, il a été tourné en Espagne et cela se sent (nous sommes censés être en Arizona). Le budget est visiblement mince (Audie Murphy avait regretté devoir faire lui-même toutes les cascades et se confectionner ses propres sandwiches). La trame est classique, s’agissant d’un type surgi de nulle part pour purger une petite ville de celui qui règne en maître, par la violence et l’injustice. Mais là où le film marque des points, c’est que cet homme haïssable est incarné par Broderick Crawford. Contrairement à Murphy, Crawford dénote un peu dans un western, mais cela ne l’empêche pas de nous embarquer dans une composition à la fois forte et subtile (souvent au détriment d’un Murphy un peu transparent).
Ce n’est pas le cas de Yul Brynner, dont la silhouette inquiétante se marie parfaitement avec les paysages de l’Ouest. Quand il apparaît en 1964 dans Le Mercenaire de minuit, personne n’a oublié qu’il était quatre ans plus tôt l’un des Sept Mercenaires de John Sturges (le choix du titre français du film de Wilson n’est pas fortuit). C’est d’ailleurs un personnage très décalé qui déboule dans le film sous le nom (très cajun) de Jules Gaspard d’Estaing (le nôtre n’était encore à ce moment-là que ministre des Finances). Comme dans le film précédent (de notre panel) l’enjeu est celui du droit et de la justice dans une petite ville tenue par un riche éleveur à qui personne ne résiste. Ce n’est plus Broderick Crawford qui tient le rôle, mais Pat Hingle (le père implacable de Warren Beatty dans La Fièvre dans le sang). Le mercenaire est évidemment à son service, pour une mauvaise cause. Mais tout l’enjeu du film est de suivre les retournements de son sens du devoir et les fluctuations de sa morale derrière son regard de sphinx. Véritable chien fou au milieu d’un jeu de quilles, on ne sait jamais à l’avance au service de qui il va mettre sa dextérité de son revolver dans la scène suivante. Il s’en faudrait de peu pour que le film verse dans la parodie, mais il l’évite (à peu près). Le personnage apporte au contraire un supplément de mystère à un film définitivement sympathique. Certes nous ne sommes plus dans la veine majeure du genre et certains tics venus d’Italie peuvent se relever ici ou là. Mais ne faisons pas la fine bouche : Richard Wilson, son auteur, n’est pas un spécialiste du genre, mais c’est un metteur en scène, pas un tâcheron. Il faut dire que notre homme avait, avant de réaliser, été régisseur du Mercury Theatre, ce qui lui avait permis de longtemps collaborer en tant que avec Orson Welles, avant d’être son producteur délégué sur plusieurs films. À noter, amis cinéphiles que vous n’avez pas la berlue : la maison de Pat Hingle, en haut du village est bien celle que Norman Bates occupait quelques années plus tôt dans Psychose.
Nous terminerons cette balade westernienne par le plus récent des films présentés : Les Collines de la terreur date de 1972. C’est le premier des six films que Charles Bronson tournera sous la direction de Michael Winner (créateur de la franchise Un justicier dans la ville). C’est peu dire que le comédien laisse une empreinte durable. Souvent à demi-nu, ne lâchant jamais plus de trois mots d’affilée, félin jusqu’au bout des griffes, Bronson fait véritablement illusion pour ses (déjà) 45 ans. Il interprète un métis indien pourchassé par une horde de racistes en goguette. Mais c’est lui qui est sur ses terres et ses poursuivants ne sont pas appelés à faire de vieux os. Les Collines de la terreur est quand même un cas d’école : le scénario tient sur une feuille de papier à cigarette, les dialogues sont réduits à la portion congrue. Mais le film exerce une sorte de fascination. L’aridité des paysages, l’absence définitive de toute tentation psychologique nous entraînent peu à peu vers une abstraction déroutante. Certains ne se sont pas privés (et ils ont sans doute eu raison) d’y voir en parallèle une métaphore sur la guerre du Vietman, qui faisait alors rage…
Yves Alion
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