Publié le 22 juin, 2021 | par @avscci
0Journée de la création 2021
L’Avant-Scène Cinéma a suivi avec beaucoup d’intérêt la Journée de la création 2021 organisée par l’ARP (Association des Réalisateurs-Producteurs) le 14 avril. Nous rendons compte ici des quatre rencontres, très riches en pistes nouvelles, de la journée. On pourra bien sûr aller regarder l’intégralité des débats sur https://larp.fr/events/journee-de-la-creation-de-larp/
Images animées et prises de vues réelles : d’un univers créatif à l’autre ?
Souvent considérée comme un “genre” à part, ce qu’elle n’est définitivement pas, l’animation peine toujours, en 2021, à s’imposer à égalité avec le cinéma de prise de vues réelles. Mais les choses avancent, et l’idée d’une conférence sur le sujet organisée dans le cadre de la Journée de la Création de l’ARP (société civile des auteurs, réalisateurs, producteurs) est là pour le prouver.
Sous la houlette du journaliste Laurent Valière, les invités Rémi Bezançon (réalisateur et scénariste), Thomas Bidegain (réalisateur et scénariste), Guillaume Laurant (scénariste), Mickael Marin (directeur du Festival international du film d’animation d’Annecy), Laurent Perez del Mar (compositeur), Marjane Satrapi (réalisatrice, scénariste et dessinatrice) et Valérie Schermann (productrice) ont pédagogiquement tenté de dresser les contours d’une production qui compte autant de particularités que de points communs avec la prise de vues continue.
En préambule, tous les intervenants ont rappelé que l’animation est avant tout du cinéma (on n’en attendait pas moins) et que quel que soit le format choisi, l’idée première est bien la même : raconter une histoire. Le moyen pour y parvenir diffère dans la mesure où le cinéma d’animation permet de décider vraiment de tout : personnages, décors, mouvements, et de façonner le monde que l’on désire. “Si je veux 50 hélicoptères, je les dessine”, remarque Marjane Satrapi. “La seule limite, c’est mon imagination.” L’écriture du scénario, elle, est à proprement parler identique, comme le souligne Valérie Schermann.
D’un point de vue purement pratique, fabriquer un long métrage d’animation, on le sait, prend généralement plus longtemps qu’un film en prise de vues continue – et encore, il y a des exceptions. Valérie Schermann compare le premier à un cargo : une fois lancé, il peut être plus difficile à manœuvrer. “Il faut anticiper très en amont les problèmes qui peuvent arriver”. La prise de vues réelles serait, elle, un catamaran : il est possible de réagir très vite, à chaque étape du processus.
Cela tient notamment à une différence de chronologie entre les deux formes de création. En animation, le montage intervient très tôt, à travers ce que l’on nomme l’animatique, une sorte de maquette visuelle qui permet de trouver le rythme du film. C’est donc à ce moment que sont tranchées toutes les questions de mise en scène ou de points de vue. “C’est comme si on écrivait le scénario tout en faisant le montage”, explique Rémi Bezançon. “Alors qu’en prise de vues continue, cela se fait en trois phases distinctes : le scénario, le tournage, et seulement le montage”.
En conclusion, les participants à la table-ronde ont rappelé que le principal challenge de l’animation aujourd’hui est de réussir à convaincre toute la chaîne de décision, du producteur à l’exploitant, sans oublier le spectateur lui-même, qu’elle n’est pas réservée au jeune public, et qu’elle est donc légitime à s’emparer de tous les sujets. Le succès récent de Josep, meilleur film d’animation lors de la dernière cérémonie des César, en est la parfaite démonstration, comme celui de J’ai perdu mon corps en 2020, et plus anciennement de Persépolis ou Valse avec Bachir. De quoi alimenter l’idée que les frontières doivent être de plus en plus poreuses entre les deux formes de création, l’essentiel étant pour chaque histoire de trouver la meilleure manière d’être racontée.
Marie-Pauline Mollaret
Regards croisés entre scénaristes
Les cinéastes de l’ARP nous proposent de rencontrer trois scénaristes : Fadette Drouard, Jean-François Halin et Agnès De Sacy, dans le cadre de leur journée de création. Le débat, animé par Pierre Charpilloz, revient sur ce métier peu connu, sur ses défis et ses contraintes.
Des études de médecine, de commerce, de journalisme, en passant par la rédaction de pièces ou de sketchs, le chemin n’est pas tout tracé pour devenir scénariste. Il semblerait que ce soit avant tout l’amour du cinéma qui guide les pas des auteurs vers l’écriture pour grand écran. À force de rencontres et d’amitiés, les portes s’ouvrent, et le travail peut débuter.
Les trois invités déclarent par ailleurs que s’il est intéressant de parler de la beauté de leur profession, il faut également souligner sa précarité. Les financements sont à la baisse et il y a un réel problème de légitimité. Alors que l’importance du scénario est incontestée, le métier en lui-même est peu reconnu.
Rédiger un scénario n’est pas chose facile, il ne faut pas le confondre avec un découpage technique, au contraire, il doit aider les acteurs et les techniciens à visualiser l’histoire. Histoire qui doit les passionner. Être scénariste c’est faire partie d’une écriture polyphonique qui se poursuit au tournage et au montage. Nous sommes donc bien loin d’un métier solitaire ! Il doit savoir écouter les remarques et faire des concessions, surtout s’il travaille en collaboration !
Finalement, être scénariste, c’est être un auteur qui vend du rêve et qui remplit nos salles obscures d’histoires extraordinaires.
Camille Sainson
Comédie : le code a changé ?
Animée par Fabrice Leclerc, de Paris-Match et Europe 1, la rencontre sur la comédie réunissait cinq interlocuteurs. Thomas Verhaeghe, producteur de Quentin Dupieux et du récent Playlist de Nine Antico. Olivia Côte, qu’on a vu en 2020 dans Antoinette dans les Cévennes, qu’on verra en juin dans La Fine Fleur, et qui a écrit la série TV Vous les femmes. Félix Moati, acteur, et réalisateur de Deux Fils (2018). Sophie Letourneur, réalisatrice du récent Énorme. Baya Kasmi, actrice, réalisatrice, et qui fut la scénariste du Nom des gens. Cinq représentants par conséquent d’une comédie française de qualité, de ce qu’on appelle la comédie d’auteur. Leur conversation, sur plus d’une heure, questionnait notamment la place respective de cette comédie d’auteur et de la grande comédie populaire. Ils n’ont pas manqué de citer l’exemple du Grand Bain, de Gilles Lellouche, exemple de très grand succès commercial d’un film particulièrement bien écrit, et qui a surpris en bien plus d’un critique sourcilleux et intransigeant. Baya Kasmi confessait même, avec un sourire, qu’elle « aimait bien les Tuche », pourtant bien éloignés de son travail. Ils partageaient tous les cinq un certain optimisme sur la récente évolution des commissions du CNC, plus promptes à aider les comédies que par le passé. La question de la comédie recoupe en fait celle de tous les autres genres. Question de structure, de mise en scène, d’équilibre esthétique. Il n’est pas indifférent que les noms d’Hitchcock, de Resnais, de Buñuel se soient mêlés dans la conversation aux noms plus évidents de Woody Allen, Yves Robert, Jacques Rozier ou Bertrand Blier.
René Marx
Du fait divers à la fiction
L’un des thèmes abordés dans les discussions de la troisième édition de la Journée de la Création de l’ARP était celui des faits divers adaptés en film ou en série. Parmi les intervenants, se trouvait Philippe Torreton, qui a donné chair au tueur en série Michel Fourniret pour la télévision, et d’Alain Marécaux, l’un des accusés à tort de l’affaire d’Outreau, dans Présumé coupable. Le réalisateur de ce film, Vincent Garenq, ainsi que son producteur, Philip Boëffard, se retrouvaient sans surprise dans les échanges. Furent également présents Gilles Marchand, le scénariste de la série Netflix sur l’affaire du petit Grégory, et Audrey Diwan, la productrice de Bac Nord.
D’emblée, les intervenants ont mis en évidence l’intérêt premier des faits divers pour les scénaristes. Ayant réellement eu lieu, ces événements règlent la question de l’adhésion du spectateur à la crédibilité de l’histoire. Ces faits étant ancrés dans la vie courante, ils parlent directement au public tout en renvoyant à des archétypes, comme le synthétise la plaisante formule de Philip Boëffard : « Shakespeare au quotidien ». Au-delà de ces considérations dramaturgiques, les échanges ont tourné en grande partie autour de questions éthiques. Quel point de vue adopter dans ces tragédies ? Comment ne pas sombrer dans le sensationnalisme de la mauvaise presse ? Comment retranscrire les faits tout en évitant de faire un « film-dossier » sans axe, y compris dans le documentaire ? Comment articuler l’écriture en sachant que certains individus ont été meurtris par l’histoire, et qu’il ne faut pas les blesser une deuxième fois par des maladresses dramaturgiques ? Lors de la documentation, quelles questions les acteurs peuvent se permettre de poser aux personnes qu’ils vont jouer dans la fiction ? Nous encourageons ceux qui sont tentés par l’écriture de scénario à regarder ces vidéos, car elles soulèvent ces questions essentielles.
Tancrède Delvolvé