Publié le 27 février, 2020 | par @avscci
0Actu dvd février 2020 – Sept films noirs
Bien que le transfuge du muet Richard Wallace ne compte pas parmi les maîtres, il signe avec Traquée (1947) un polar efficace de fin de carrière en confiant à Glenn Ford l’un de ses rôles d’anti-héros comme il les affectionnait, en ingénieur des mines déclassé socialement qui se laisse manipuler par à peu près tous ceux qu’il rencontre, la femme fatale de service étant campée par Janis Carter, une ex-chanteuse repérée par Darryl F. Zanuck, qui omet toutefois de se débarrasser de l’arme du crime, détail peu crédible par rapport à sa détermination. Bref, une intrigue tordue à souhait qui inspire à la fois François Guérif et Patrick Brion.
Le Maître du gang (1949) figure parmi les films les plus intéressants de Joseph H. Lewis qui y évoque une figure majeure de l’histoire du crime, Al Capone, du point de vue des deux agents des impôts qui ont réussi à le confondre pour fraude fiscale. Glenn Ford (inspiré de Frank J. Wilson, le tombeur du caïd) fait cette fois équipe avec James Whitmore. L’opus suivant de Lewis sera son chef-d’œuvre : Le Démon des armes (1950), comme le souligne justement la sainte trinité de ses admirateurs français les plus volubiles : François Guérif, Patrick Brion et Bertrand Tavernier.
On retrouve les trois compères évoquant chacun son tour un autre fleuron du genre, Midi gare centrale (1950). Une affaire de kidnapping d’enfant (une petite fille aveugle) rondement menée par le réalisateur tout-terrain Rudolph Maté. Le rôle de l’enquêteur en est tenu par William Holden (appelé alors… Bill) qui venait tout juste de tourner Sunset Boulevard, de Billy Wilder (1950) et entamait alors une décennie prodigieuse. Présenté par Guérif, Brion et Tavernier, lequel se souvient avec une jubilation communicative de chacune des salles où il a découvert les films les plus marquants de son adolescence : celui-ci, c’était dans le quartier de la gare du Nord en v.f. C’est à ces petits détails qu’on repère les vrais amoureux du cinéma.
Surtout réputé pour ses films glamour en Technicolor interprétés par Kim Novak à la fin des années 1950, Richard Quine est un styliste qui mérite d’être redécouvert, même s’il investit ici un quotidien on ne peut plus banal. Écrit par son compère Blake Edwards, qu’on n’attendrait pas nécessairement sur un registre aussi sombre, Le destin est au tournant (1954) a par ailleurs pour interprète principal l’ex-petit fiancé de l’Amérique depuis la série des aventures d’Andy Hardy, Mickey Rooney, dans le rôle d’un ex-pilote automobile rétrogradé comme mécanicien qui se trouve entraîné dans le monde de la pègre par une femme perverse. Trois ans avant d’incarner Baby Face Nelson dans L’Ennemi public de Don Siegel, celui-ci s’essaie à un nouvel emploi. À cette réserve près qu’il se laisse encore manipuler et que le film sera accusé par certains observateurs d’être un démarquage des Tueurs de Robert Siodmak, lui-même tiré d’une nouvelle d’Ernest Hemingway, sur lequel reviennent Patrick Brion et François Guérif, chacun à sa façon.
Orphelin de James Bond qu’il a mis en scène à trois reprises en la personne de Sean Connery, Terence Young signe avec Cosa Nostra (1971) un film efficace dont l’atout maître réside dans la rencontre de Lino Ventura avec Charles Bronson propulsé au rang de vedette en Europe grâce au triomphe d’Il était une fois dans l’Ouest. En filigrane de cette chronique de la Mafia affleure le glissement de la criminalité au terrorisme qui va inspirer au cinéma italien une série de chroniques politiques acerbes dont L’Affaire Mattei, de Francesco Rosi et La classe ouvrière va au paradis, d’Elio Petri, Palmes d’or ex æquo à Cannes en 1972. Plus modestement, par son usage du flash-back, Cosa Nostra préfigure également dans une moindre mesure Le Parrain, de Francis Ford Coppola, qui sortira dix mois plus tard. Le film est accompagné ici d’une évocation de Ventura par sa fille Clelia, d’un module sur la mafia italo-américaine issue de la Main Noire présenté par le journaliste Fabrice Rizzoli et d’un reportage du magazine Cinq colonnes à la une de 1963 consacré à l’arrestation du véritable Joe Valachi (campé par Bronson).
Sunday in the Country (1974) fait partie de ces innombrables séries B inspirées par Les Chiens de paille (1971) de Sam Peckinpah avec ses Rednecks (c’est d’ailleurs le nom de la collection dans laquelle est édité ce film dont le titre alternatif, Self Defense, donne la tonalité) qui voient d’un mauvais œil débarquer des intrus et entreprennent de leur imposer leur loi. Cette fantasia chez les ploucs est menée en l’occurrence ici par Ernest Borgnine, éternel second couteau du cinéma américain parfois anobli au rang de tête d’affiche, lui qui obtint l’Oscar du meilleur acteur en 1956 pour Marty, mais venait tout juste d’être L’Empereur du Nord (1973) de Robert Aldrich. Loin de se cantonner à ce registre, le réalisateur canadien d’origine britannique John Trent, réputé pour une adaptation télévisée de la saga des Jalna, signera par la suite le très intéressant Middle Age Crazy avec Bruce Dern et Ann-Margret présenté à Deauville en 1980. Sunday in the Country fait l’objet d’un combo assorti d’un livret détaillé et d’une présentation par Maxime Lachaud.
Last (chronologiquement), but not least, Les Anges de la nuit, de Phil Joanou (1990). Un superbe film noir qui ne manque ni d’ambition ni d’ampleur (134 minutes), situé dans le quartier irlandais de New York et mettant en lumière les turpitudes de la mafia irlandaise. Le caïd est en l’occurrence campé par un Ed Harris absolument glaçant. Gary Oldman est son petit frère, incontrôlable et fragile, Sean Penn étant quant à lui le meilleur pote de ce dernier (mais également un flic infiltré), amoureux de la très séduisante Robin Wright (son épouse dans le civil, ça tombe bien). On ne détaillera pas tous les rebondissements de l’intrigue, mais il serait dommage de ne pas signaler sa subtilité, chacun des personnages dépassant les stéréotypes pour prendre véritablement chair. Pour tout dire, nous ne serions pas en présence d’Irlandais, mais d’Italiens, nous pourrions nous croire dans un (bon) film de Scorsese. C’est évidemment le chef-d’œuvre de Joanou, qui signera deux ans plus tard un sympathique Sang chaud pour meurtre de sang-froid, avant de s’illustrer dans un documentaire sur le groupe de rock U2. Mais le film n’a pas trouvé son public. Il est vrai qu’il est sorti en même temps que son frère jumeau, Les Affranchis, de Scorsese comme il se doit…
Traquée / Le Maître du gang / Midi gare centrale / Le destin est au tournant Sidonis
Cosa Nostra ESC
Sunday in the Country Artus Films
Les Anges de la nuit Rimini