Publié le 15 mai, 2014 | par @avscci
Critique – Le vent se lève de Hayao Miyazaki
Hayao Miyazaki, chevalier du ciel
Le vent se lève devrait être le dernier film d’Hayao Miyazaki. Pas d’inquiétude, le maître a déjà enchaîné sur la création d’une grande bande dessinée historique. Comme Princesse Mononoké (1997), après lequel Miyazaki avait annoncé une première fois sa retraite, Le vent se lève est un film-somme, consacré cette fois-ci à l’amour du cinéaste pour l’aviation. N’oublions pas que ce rêveur aérien a pour livre de chevet Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry.
PAR SYLVAIN ANGIBOUS
Portrait de l’artiste en ingénieur
Jirô Horikoshi, personnel principal du Vent se lève, est le créateur des Zéros, ces chasseurs utilisés par l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. À voir l’ingénieur penché avec amour sur sa table à dessin, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec le travail du dessinateur de manga ou de l’animateur, de superposer les bureaux de l’usine d’aviation avec ceux du studio de Miyazaki : ici et là, on travaille avec ardeur, un crayon à la main, pour que les rêves deviennent réalité. Jirô est un autoportrait transparent de Miyazaki, avec ses qualités (un idéalisme et une capacité de travail à toute épreuve) et ses défauts (une incapacité à concilier vie professionnelle et personnelle). La voix du personnage n’est d’ailleurs pas celle d’un doubleur professionnel mais d’un réalisateur de films d’animation, Hideaki Anno, créateur de la série Neon Genesis Evangelion et assistant de Miyazaki sur son deuxième long métrage, Nausicaä de la vallée du vent (1984). Le rapprochement se révèle plus complexe encore lorsque l’on sait que le père d’Hayao Miyazaki dirigea une entreprise de construction aéronautique, qui produisait des pièces pour les Zéros. La passion paternelle pour la mécanique s’est communiquée au fils, qui dessine toujours les machines avec un souci maniaque du détail, des voitures du Château de Cagliostro, son premier film, aux avions de Porco Rosso et Le vent se lève. Cette précision est aussi mise au service de l’imaginaire : les machines du Château dans le ciel et du Château ambulant sont des modèles d’esthétique steampunk où, sous le haut patronage de Jules Verne, les inventions de la science-fiction sont réalisées avec les outils de la révolution industrielle, ferraille et vapeur.
© Nibariki – GNDHDDTK
La passion du dessinateur pour les machines s’étend jusqu’aux armes de guerre : robots destructeurs, forteresses volantes inspirées des bombardiers américains de la Seconde Guerre mondiale (la série Conan fils du futur, Nausicaä, Le Château dans le ciel…), mais aussi les tanks auquel il a consacré en bande dessinée plusieurs histoires courtes très documentées 1. La prédilection du réalisateur pour les machines volantes est évidente : les avions voisinent avec un hélicoptère (Le Château de Cagliostro), des hydravions (Porco Rosso), un dirigeable (Kiki la petite sorcière) ou un improbable vélo à hélice bricolé par l’apprenti aviateur de Kiki. À l’occasion d’une exposition au musée Ghibli en 2002, Miyazaki réalise un court métrage présentant diverses « machines volantes imaginaires » dans un style rétro-futuriste. Cette passion apparaît dès ses travaux pour la télévision. En 1985, un des six épisodes qu’il réalise pour la série Sherlock Holmes est un hommage aux pionniers de l’Aéropostale : personnage favori de Miyazaki, la gouvernante Madame Hudson se révèle être la veuve d’un pilote, égérie d’une communauté de fous volantsqui annonce celle réunie autour de Gina et Fio dans Porco Rosso. L’épisode s’achève par un duel aérien virtuose, semblable à ceux de Conan fils du futur ou d’Albatros, les ailes de la mort, un épisode de la série Lupin III (Edgar, le détective cambrioleur en France) que Miyazaki réalise en 1980.
© Nibariki – GNDHDDTK
Le rêve d’Icare
Lorsqu’ils ne sont pas soumis à un réalisme scrupuleux (Porco Rosso, Le vent se lève), les avions de Miyazaki sont d’improbables villes volantes, tellement énormes que les voir s’élever au-dessus du sol tient du miracle. Un avion géant implose d’ailleurs sous son propre poids dans Le vent se lève. Bien que son fonctionnement soit jubilatoire, la technologie n’est pas la meilleure façon d’échapper à la pesanteur : les héros de Miyazaki privilégient les machines légères (la finesse du Zéro est à l’opposé des lourds avions produits par les Allemands et les Italiens), délaissent la force mécanique (le planeur de Nausicaä) et flottent dans les airs grâce à des objets magiques (un bijou dans Le Château dans le ciel, une toupie dans Mon voisin Totoro, un balai pour Kiki la petite sorcière 2). Idéalement, on vole par soi-même comme l’ange du clip On Your Mark (1995), Haru, l’enfant-dragon du Voyage de Chihiro et Hauru, le magicien-oiseau du Château ambulant, qui peut marcher dans le ciel. Seconde nature pour les personnages de Miyazaki, le vol se fait dans des véhicules inspirés par la nature : le professeur Moriarty, ennemi juré de Sherlock Holmes, pilote un ptérodactyle mécanique, les flapters du Château dans le ciel battent des ailes comme des insectes, les avions du Château ambulant ont des plumes de métal et Jirô prend des leçons d’aérodynamique en observant la courbe parfaite d’une arête de poisson. Comme Pazu (Le Château dans le ciel) et Fio Piccolo (Porco Rosso), Jirô construit des machines volantes mais, contrairement à eux, il ne vole pas lui-même et doit se contenter d’observer ses créations depuis le sol. Il ne s’évade vers les cieux que dans ses rêves, scènes baroques où il rencontre l’ingénieur italien Giovanni Caproni, compatriote et contemporain de Porco Rosso. Avec son héros tiraillé entre ciel et terre, Le vent se lève est un film en demi-teinte : à la terre les préoccupations humaines (guerre, couple, travail) et la catastrophe du séisme de Kantô en 1923 ; au ciel les rêves de liberté et de vitesse. Mais, dès la première scène, une sombre menace descend des nuages, marquant la contamination du monde céleste par la violence humaine.
Lorsqu’ils ne sont pas soumis à un réalisme scrupuleux (Porco Rosso, Le vent se lève), les avions de Miyazaki sont d’improbables villes volantes, tellement énormes que les voir s’élever au-dessus du sol tient du miracle. Un avion géant implose d’ailleurs sous son propre poids dans Le vent se lève. Bien que son fonctionnement soit jubilatoire, la technologie n’est pas la meilleure façon d’échapper à la pesanteur : les héros de Miyazaki privilégient les machines légères (la finesse du Zéro est à l’opposé des lourds avions produits par les Allemands et les Italiens), délaissent la force mécanique (le planeur de Nausicaä) et flottent dans les airs grâce à des objets magiques (un bijou dans Le Château dans le ciel, une toupie dans Mon voisin Totoro, un balai pour Kiki la petite sorcière 2). Idéalement, on vole par soi-même comme l’ange du clip On Your Mark (1995), Haru, l’enfant-dragon du Voyage de Chihiro et Hauru, le magicien-oiseau du Château ambulant, qui peut marcher dans le ciel. Seconde nature pour les personnages de Miyazaki, le vol se fait dans des véhicules inspirés par la nature : le professeur Moriarty, ennemi juré de Sherlock Holmes, pilote un ptérodactyle mécanique, les flapters du Château dans le ciel battent des ailes comme des insectes, les avions du Château ambulant ont des plumes de métal et Jirô prend des leçons d’aérodynamique en observant la courbe parfaite d’une arête de poisson. Comme Pazu (Le Château dans le ciel) et Fio Piccolo (Porco Rosso), Jirô construit des machines volantes mais, contrairement à eux, il ne vole pas lui-même et doit se contenter d’observer ses créations depuis le sol. Il ne s’évade vers les cieux que dans ses rêves, scènes baroques où il rencontre l’ingénieur italien Giovanni Caproni, compatriote et contemporain de Porco Rosso. Avec son héros tiraillé entre ciel et terre, Le vent se lève est un film en demi-teinte : à la terre les préoccupations humaines (guerre, couple, travail) et la catastrophe du séisme de Kantô en 1923 ; au ciel les rêves de liberté et de vitesse. Mais, dès la première scène, une sombre menace descend des nuages, marquant la contamination du monde céleste par la violence humaine.
© Nibariki – GNDHDDTK
Le royaume d’Éole
Le vent qui donne son titre au dernier film de Miyazaki vient d’un poème de Paul Valéry et fait écho à une de ses créations les plus ambitieuses du cinéaste, Nausicaä de la vallée du vent, fresque futuriste déclinée en bande dessinée (entre 1982 et 1994) puis au cinéma. Ce vent a également donné son nom au studio fondé par Miyazaki avec son génial comparse Isao Takahata : Ghibli, un vent chaud du désert nord-africain. Au coeur de l’écosystème miyazakien, le vent souffle dans la vallée de Nausicaä, sur la cime des arbres de Princesse Mononoké, dans les cheveux des personnages, les jupes des jeunes filles et sur la crête des vagues fabuleuses de Ponyo sur la falaise. Le vent inspire au cinéaste des modèles de société (la communauté agricole de Nausicaä et ses moulins) et des créations architecturales (Laputa, la cité volante du Château dans le ciel, empruntée à Jonathan Swift).
Parfois produit par le souffle des moteurs d’avion,le vent a aussi une origine magique : c’est Totoro, la plus célèbre des créations de Miyazaki qui en est la cause lorsqu’il survole la campagne en rasemotte.Dans les films du studio Ghibli, la nature n’est pas qu’un tableau, un beau panorama figé : le génie de Miyazaki et de son équipe est de savoir animer ces paysages, de donner une vie au dessin en y faisant frémir les brins d’herbe et glisser les nuages grâce au souffle d’un vent dont toutes les nuances sont représentées, de la brise à la tornade, souvent dans le même film. Panthéiste, Miyazaki fait du vent une force active qui veille au destin du couple du Vent se lève, organise leur rencontre en faisant d’abord s’envoler le chapeau de Jirô (rattrapé par sa future fiancée Nahoko) puis le parasol de Nahoko (rattrapé par Jirô). La respiration de la nature est concurrencée par le vent de l’Histoire, qui souffle dans une direction opposée et sépare ce que la première a réuni. On pourrait en faire un haïku : les hommes et les femmes sont au monde comme de frêles avions de papier dans le vent. ■
SYLVAIN ANGIBOUST
1. Au Japon, les armes à feu sont interdites et la fascination pour le matériel militaire courante (elle est partagée par un autre grand cinéaste d’animation, Mamoru Oshii). Lors de sa sortie au Japon puis de sa présentation aux États-Unis, Le vent se lève a soulevé une polémique sur la relation des Japonais à leur passé impérialiste et militaire : merveilles d’ingénieries, les Zéros ont mené des raids sanglants sur la Chine avant d’être pilotés par les Kamikazes. Ce débat mérite à peine une note de bas de page : toujours aussi antimilitariste, Miyazaki présente les avions de façon ambivalente. Ils sont à la fois un rêve pour Jirô et un cauchemar pour les populations civiles qui subiront leurs attaques. Dans le contexte politique troublé de l’avant-guerre, le héros prend peu à peu conscience de la dérive totalitaire de son pays et de la faillite de ses idéaux créatifs.
2. Miyazaki a travaillé à une adaptation animée de Little Nemo, la bande dessinée fondatrice de Windson McCay, dans laquelle un petit garçon voyage à bord de son lit volant.