Publié le 27 avril, 2015 | par @avscci
0Actu livres avril 2015 – En tête à tête avec Orson Welles
Ces conversations entre Henry Jaglom et Orson Welles ressemblent à un règlement de comptes à bâtons rompus où tous les coups sont permis. Il faut dire qu’elles ont été enregistrées entre 1983 et 1985 dans des circonstances pour le moins singulières, le réalisateur de Citizen Kane n’ayant accepté de s’adonner à ce jeu de la vérité (ou plutôt de sa vérité) qu’à condition que magnétophone et micro restent cachés au fond du sac de son interlocuteur… d’où un son parfois médiocre qui a compliqué le décryptage tardif de ces bandes. Est-ce pour cela que ses propos sont aussi virulents, ses critiques aussi vachardes et son aigreur si patente ? Face à lui, un cinéaste mineur du Nouvel Hollywood qui a en commun avec son maître d’avoir toujours veillé jalousement sur son indépendance et de porter un regard impitoyable sur le cinéma, en démolissant ses chefs-d’œuvre avec une jubilation déconcertante qui laisse entrevoir des haines tenaces et friserait en permanence la calomnie si les intéressés étaient encore de ce monde. Dans le cadre de Ma Maison, restaurant français de L.A. aujourd’hui disparu, Welles évoque un monde perdu et déboulonne les idoles à grands renforts d’anecdotes, qu’il relate la rencontre au sommet de Greta Garbo et Marlene Dietrich, l’évanouissement de Charles Laughton à la vision de La Ronde de nuit de Rembrandt à Amsterdam, qualifie Paulette Goddard de « caisse enregistreuse ambulante » ou explique (en connaissance de cause) que « Le Parrain est la glorification d’une bande de voyous qui n’ont jamais existé ». Il apporte toutefois une contribution toute personnelle à l’histoire du cinéma quand il raconte ses démêlés avec Chaplin pour lequel il a écrit Monsieur Verdoux, qu’il explique qu’Humphrey Bogart était « un poltron et ne savait pas se battre » ou qu’il décrète que Laurence Olivier était « gravement stupide » en décrétant que « l’intelligence est un handicap chez un acteur ». Parmi les rares personnalités qu’épargnent les deux larrons : Carol Reed à qui Welles accorde tout le mérite du Troisième homme, alors même qu’on lui en a souvent attribué une partie de la paternité. En filigrane de ces propos de table affleure le sort funeste du géant attendant d’hypothétiques investisseurs pour concrétiser ses ultimes rêves et tirant à vue sur cette France inconséquente dont il attendait le salut. Ce livre brouillon et fourmillant édité (tant bien que mal) et préfacé par Peter Biskind reste un témoignage saisissant sur la folie du cinéma. ■
JEAN-PHILIPPE GUERAND
En tête à tête avec Orson d’Henry Jaglom, traduction de Bernard Cohen, Éditions Robert Laffont, 368 pages.