La Chambre de Mariana d’Emmanuel Finkiel
Ukraine, 1943. Mariana se voit confier par une amie d’enfance promise à la déportation son fils unique qu’elle va cacher dans un placard de sa chambre. Au fil du temps, le gamin réfugié dans cette maison close grandit au rythme des rencontres de sa protectrice et fait l’apprentissage de la vie. Une histoire que l’écrivain israélien Aharon Appelfeld a relatée dans un livre qu’un producteur a proposé au réalisateur de Voyages (1999) et La Douleur (2017). L’occasion pour lui d’aborder cette fois la Shoah sur le mode du roman d’apprentissage, avec celle qui est devenue sa muse en l’espace de trois films : Mélanie Thierry. Ce rôle, l’actrice y tenait tant qu’elle a appris pour l’interpréter la langue ukrainienne afin d’éviter qu’il ne lui échappe au profit d’une actrice originaire de ce pays. À l’écran, sa composition s’avère d’un naturel déconcertant face au partenaire le plus redoutable qui soit : un préadolescent. La difficulté consistait pour le réalisateur à trouver la juste distance entre ses protagonistes. Il la résout par ses choix de mise en scène en faisant du garçon celui qui regarde et de la jeune femme celle qui agit, sa maturité correspondant symboliquement au moment où il passe à son tour à l’acte. Ni ambiguïté ni grivoiserie dans ce film bourré de tact qui invente son propre paysage intérieur et joue sur la puissance du regard, tandis que le regard du garçon évolue au fil des mois et des premiers émois de la puberté. Emmanuel Finkiel règle ce pas de deux avec une délicatesse infinie en transcendant le minimalisme de son décor par la force des sentiments qui s’y déploient, mais aussi pour la rigueur de la grammaire cinématographique qu’il emploie à cet effet, sans jamais adopter une posture de voyeur.
Jean-Philippe Guerand
Film franco-belgo-hongro-israélo-portugais d’Emmanuel Finkiel (2024), avec Mélanie Thierry, Artem Kyryk, Julia Goldberg, Yona Rozenkier. 2h11.