Queer de Lucas Guadagnino
Guadagnino a pris l’habitude, depuis Call Me By Your Name, d’enchaîner les films et les genres, avec une régularité impressionnante, mais pas toujours constante. Voici donc Queer, adaptation à l’écran d’un roman réputé inadaptable de William Burroughs. La plus célèbre et fascinante adaptation de l’écrivain avait été précédemment Le Festin nu de Cronenberg. Queer est de fait très similaire, à première vue, dans l’approche. Il privilégie en effet là aussi la piste autobiographique, rejouant l’exil de Lee (l’alter égo de Burroughs) loin des Etats- Unis, ici au Mexique, reconstitué dans un studio de Cinecitta. Cette reproduction totale du réel est fascinante car elle peut être vue comme un miroir de la philosophie de l’écrivain, adepte de l’idée d’une réalité truquée, virale, modifiée par la subjectivité et les drogues. Mais Guadagnino n’a pas vraiment la capacité ou l’envie de traiter un tel sujet. Il se contente de privilégier le rendu du quotidien de l’écrivain maudit, incarné avec aplomb par Craig, et joue la carte de l’histoire d’amour tragique et cruelle à travers l’attirance du personnage pour un jeune et bel indifférent. Et les visions de Burroughs ? Sa folie ? Elles sont entièrement réservées à la deuxième partie du film, coupant ainsi en deux cet univers, à travers la description d’un périple halluciné et sous influence dans la jungle, à la recherche d’une nouvelle drogue. Cette scission rend les deux parties banales, un peu poussives. En mettant de l’ordre dans les obsessions du livre, de Burroughs même, Guadagnino perd son essence et livre un film finalement assez sage, ce qui est bien évidemment un contresens total dans ce cadre.
Jean-Philippe Guerand
Film américain de Lucas Guadagnino (2024), avec Daniel Craig, Jason Schwartzmann, Drew Starkey. 2h27.