Les Damnés de Roberto Minervini
Documentariste de renom, dont peu de films sont parvenus jusqu’au public français, malgré une présence suivie dans les festivals, le réalisateur italien Roberto Minervini passe à la fiction avec cet attachement viscéral au cinéma du réel qui le caractérise. Les Damnés se situe à mi-chemin entre La Rivière du hibou (1961), le court métrage que Robert Enrico avait tiré d’une nouvelle d’Ambrose Bierce, pour la tentative de s’approprier d’Europe une partie de l’histoire des États-Unis, en l’occurrence la période cruciale de la guerre de Sécession, et du Désert des Tartares de l’écrivain transalpin Dino Buzzati pour sa thématique universelle et métaphorique de l’attente. Il y retrace au cours de l’hiver 1862 la mission d’une unité confédérée chargée de patrouiller dans des territoires de l’Ouest inexplorés où se sont repliés des Indiens chassés de chez eux par les pionniers et contraints de prendre le maquis. De ces combattants embusqués, on ne percevra guère que les rares coups de feu avec lesquels ils repoussent ces envahisseurs qui s’acharnent à les harceler. Minervini réussit la prouesse d’adopter le point de vue des hommes en bleu, tout en prenant le parti des invisibles comme il l’a toujours fait. Il s’attache au quotidien de ces soldats confédérés qui se contentent d’obéir aux ordres, quitte à se faire trouer la peau dans des circonstances absurdes et de se voir réduits au statut de cibles mouvantes, sans toujours comprendre l’objectif de leur mission. Avec en toile de fond une Amérique à l’âge ingrat qui n’est pas encore une civilisation adulte, faute d’être unifiée.
Jean-Philippe Guerand
The Damned. Film belgo-canado-italo-américain de Roberto Minervini (2024), avec René W. Solomon, Jeremiah Knupp, Cuyler Ballenger, Timothy Carlson. 1h29.