Sans cœur de Nara Normande et Tião

Sur une trame a priori classique – le dernier été en apparence insouciant d’une adolescente avant qu’elle ne quitte sa région natale pour poursuivre des études loin des siens – le duo brésilien Nara Normande et Tião propose une approche extrêmement sensible, entre coming of age et éducation sentimentale, dans la droite ligne de leur court métrage déjà intitulé Sans coeur, présenté à la Quinzaine des Cinéastes en 2014. En ancrant leur récit au milieu des années 90, dans une région qu’ils connaissent bien (sur la côte d’Alagoas, dans le Nordeste), les cinéastes évoquent par la bande le Brésil contemporain, déjà en germes dans l’environnement pourtant protégé dans lequel évoluent la jeune héroïne et sa bande d’amis. Le propos du film s’avère ainsi moins frontal que dans certains films brésiliens récents, sans pour autant édulcorer les réalités d’un pays dans lequel règnent de profondes inégalités économiques et sociales. Ici, l’homophobie latente, le racisme et le poids de la religion annoncent également les comportements et idéologies qui conduiront une partie du pays à opter pour le repli sur soi, puis pour le populisme autoritaire près de deux décennies plus tard. Mais au-delà de son caractère social et sociologique, qui flirte parfois habilement avec le documentaire, Sans coeur est aussi et surtout une très belle histoire d’amour, racontée tout en délicatesse.

Marie-Pauline Mollaret

Sem coraçao. Film brésilien de Nara Normande et Tião (2023), avec Maya de Vicq, Eduarda Samara, Alaylson Emanuel. 1h31.