Critique

Publié le 11 septembre, 2023 | par @avscci

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Un automne à Great Yarmouth de Marco Martins

Rarement un film a évoqué avec une telle justesse le monde du travail et les mécanismes qui sous-tendent sa prospérité, lorsqu’il concerne des sans-papiers et des migrants broyés par la machine infernale de la mondialisation. Dans une station balnéaire anglaise qui fut naguère la perle du Norfolk avant de devenir une ville fantôme dont les habitants ont voté à 72% en faveur de la sortie de l’Union Européenne, l’usine de volailles locale emploie une main-d’œuvre portugaise corvéable à merci sur laquelle règne Tânia en attendant le moment hypothétique où sa pratique de l’anglais et ses économies lui permettront enfin d’ouvrir un hôtel destiné aux touristes du troisième âge. Dès lors, elle apparaît comme le bras armé d’un pouvoir économique qui ne lui laisse que des miettes. C’est dans ce contexte sinistré et xénophobe qu’à l’approche du Brexit, ce Lumpen prolétariat stigmatisé par les autochtones se débat dans des conditions inhumaines qui nourrissent des intermédiaires. Déjà remarqué pour Alice (2005) et Saint Georges (2016), présentés respectivement à Cannes et à Venise, le réalisateur Marco Martins entraîne ici ses deux interprètes fétiches, Nuno Lopes et Beatriz Batarda, dans un monde sans pitié où la vie des humains relégués à un statut d’animaux aux comportements primaires a aussi peu de valeur que celle des dindes dont ils pratiquent l’abattage à la chaîne. Aux confins du cinéma du réel et de la fiction, Un automne à Great Yarmouth est une expérience intense qui nous plonge au cœur d’une réalité qui a peu à peu déserté le grand écran.

Jean-Philippe Guerand

Great Yarmouth : Provisional Figures. Film portugo-franco-britannique de Marco Martins (2022), avec Nuno Lopes, Beatriz Batarda, Kris Hitchen, Peter Caulfield. 1h53.




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