Critique

Publié le 5 avril, 2023 | par @avscci

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The lost king de Stephen Frears

Les histoires les plus folles sont souvent aussi les plus authentiques. Celles de Philippa Langley ne peut qu’inspirer l’admiration. Cette Écossaise remarque un jour dans un pub des gens en grande conversation dont elle découvre que ce sont des passionnés d’histoire qui se sont donnés pour mission de réhabiliter la mémoire du plus mystérieux des monarques britanniques. Richard III a en outre été immortalisé (et singulièrement noirci sur ordre des Tudor) par William Shakespeare dans l’une de ses pièces les plus fameuses dont on se souvient également qu’elle avait inspiré à Al Pacino une mise en abyme vertigineuse dans son documentaire Looking For Richard (1996). Stephen Frears a décidé de s’intéresser à l’improbable quête du Graal à laquelle s’est consacrée Mrs. Langley en remuant ciel et terre afin de localiser le site précis où aurait été ensevelie la dépouille de ce monarque mort au combat : un terrain affecté au stationnement des fonctionnaires des services sociaux sur lequel s’apprêtaient à être menés d’importants travaux de rénovation qui auraient réduit à néant les efforts irrationnels déployés par l’admiratrice du monarque guidée par son intime conviction. C’est cette quête couronnée de succès en 2012 que retrace The Lost King.

Dix ans pile après Philomena, Stephen Frears fait à nouveau équipe avec les scénaristes Steve Coogan et Jeff Pope, cités à l’Oscar pour ce film, afin de retracer l’improbable chasse au trésor entreprise par une archéologue urbaine guidée par cette intime conviction qui caractérise les plus fins limiers. Une quête obsessionnelle à la limite de l’irrationnel qui tient pour une bonne part au caractère atypique de Philippa Langley et à sa capacité d’identification à ce roi sans sépulture dont la postérité a conservé une image faussée par la pièce de Shakespeare. Ici intervient la capacité de Stephen Frears à s’approprier cette histoire authentique pour la parer d’un supplément d’âme à travers ses deux protagonistes principaux. Ce monarque réduit à sa représentation picturale qu’il imagine chevauchant aux côtés de celle qui a juré de l’exhumer et cette mère de famille écossaise à qui il a donné post mortem un nouveau sens à sa vie de dévouement. Comme beaucoup de films de Stephen Frears, The Lost King, dont la genèse a débuté en 2014, est un éloge de la singularité dans lequel un individu pétri de bon sens triomphe des institutions et de l’ordre établi afin de faire triompher une vérité qui n’avait besoin que d’une bonne dose de bon sens et de ténacité pour éclater.

Autre obsession du metteur en scène, la personnalité de Philippe Langley a joué un rôle déterminant dans la réussite de la mission impossible qu’elle s’était assignée. Sous la rigueur de l’historienne se dissimulait une caractéristique habituellement considérée comme incompatible : son instinct. Sa découverte est en effet l’aboutissement d’une interprétation toute personnelle d’éléments dont disposaient déjà ses prédécesseurs auxquels elle a appliqué une analyse toute personnelle sinon à la limite du mysticisme. Une démarche personnelle que se sont approprié les scénaristes : Steve Coogan en laissant s’exprimer son empathie et son imagination, Jeff Pope en passant le récit à travers le filtre de la dramaturgie la plus rigoureuse, sans s’interdire pour autant la moindre fantaisie. Une association idéale qui réussit à sublimer cette enquête à travers la complicité des auteurs avec le metteur en scène, Coogan incarnant par ailleurs dans le film le mari protecteur de Philippa Langley. Avec ce recours à la comédie pure qui donne au film une légèreté précieuse sous couvert de réalisme. Et puis aussi une authentique pointe de féminisme qu’incarne cette historienne déterminée à reprendre le contrôle de sa vie après avoir élevé ses enfants, quitte à s’opposer pour cela à la pesanteur d’une administration patriarcale dont les fonctionnaires se caractérisent par leur force d’inertie.

The Lost King est avant tout le récit d’une quête obsessionnelle menée par une femme têtue dont le plus grand tort est de ne pas appartenir au cénacle des chercheurs et des universitaires. Un reproche qui lui a sera signifié a posteriori en n’étant pas conviée à l’enterrement officiel du Roi Richard III comme une invitée d’honneur. Ce rôle, la comédienne Sally Hawkins l’incarne avec une fièvre de tous les instants, en prenant par ailleurs en compte la maladie auto-immune dont était affectée Philippa Langley et que les uns et les autres tenaient à intégrer à sa quête sur laquelle elle a interféré malgré elle : un syndrome de fatigue chronique contracté à la suite d’une mauvaise grippe et parfois comparé à un Covid long. Avec les conséquences imprévisibles qu’a pu exercer cette pathologie sur le déroulement de sa quête, mais aussi le renforcement de sa détermination auquel ce handicap a pu contribuer. La personnalité de Sally Hawkins, vue notamment chez Woody Allen et Mike Leigh, n’a contribué qu’à humaniser ce personnage à fleur de peau. Avec la puissance d’émotion qu’implique un sujet où la réalité n’a guère de mal à dépasser la plus folle des fictions.

Jean-Philippe Guerand

Film britannique de Stephen Frears (2023), avec Sally Hawkins, Shonagh Price, Lewis Macleod, Steve Coogan. 1h49.




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