Publié le 2 juin, 2022 | par @avscci
0Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini
Salò est le film de la mort de Pasolini. Lui qui était obsédé par la mort violente, et qui la rencontra en novembre 1975, consacra ses derniers mois au travail et au tourment que représenta la fabrication de ce film somptueux et insupportable. Film définitif sur la douleur humaine, film impossible à regarder, couronnement terrible d’un trajet poétique. Film dont la pellicule fut volée, soumise à rançon, retrouvée, film interdit, persécuté, censuré, détesté. Film inregardable que virent alors deux millions d’Italiens. Film que peut-être personne ne regarda jamais vraiment. La figure du Christ (« Pourquoi m’as-tu abandonné ? »), les outrages, l’humiliation, la crucifixion sont présents, quoique métamorphosés, d’un bout à l’autre. L’exhibition de la toute-puissance, de la jouissance immédiate et instinctive, du pouvoir absolu, de l’argent roi, de la bourgeoisie qui répugne à Pasolini, de la réification de l’humain, est impossible à interpréter autrement que comme l’accomplissement de ce regard sur la fragile humanité qui fonde l’esthétique du cinéaste, qui fonde le sens du sacré de ce poète athée. Le titre complet, par l’intermédiaire de Sade, rattache l’œuvre aux villes maudites de la Genèse, que Dieu a détruites par le soufre et le feu, parce qu’on y maltraitait les étrangers en transgression des traditions de l’hospitalité proche-orientale. Le film, qui met en scène les turpitudes de la République fantoche de Salò, où Mussolini a été installé par Hitler, se divise en quatre tableaux, comme dans le texte du marquis de Sade, et ces tableaux évoquent les cercles infernaux de la Divine Comédie de Dante Alighieri: Antinferno (« le vestibule de l’enfer »), Girone delle manie (« cercle des passions »), Girone della merda (« cercle de la merde »), Girone del sangue (« cercle du sang »). C’est un film abstrait, monotone, presque ennuyeux, comme peuvent être abstraites, monotones, ennuyeuses, la cruauté, et la douleur.
René Marx
Salò o le 120 giornate di Sodoma. Film italien de Pier Paolo Pasolini (1975), avec Paolo Bonaccelli, Hélène Surgère, Uberto Paolo Quintavalle, Caterina Boratto. 1h56.