Evénement Affiche de la 39ème édition du festival du film court en plein air de Grenoble

Publié le 2 septembre, 2016 | par @avscci

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39ème édition du Festival du film court en plein air de Grenoble

Le Grand prix du 39e Festival du Film Court en Plein Air de Grenoble est sans surprise allé au Repas dominical de Céline Devaux. Sans surprise car ce film d’animation accumule depuis plus d’un an les honneurs, du festival de Clermont-Ferrand à celui de Cannes en passant par les Césars. Sans surprise surtout car il s’agit là d’une brillante réussite, qui mérite toutes ses récompenses. La réalisatrice transforme une ennuyeuse réunion familiale en un jeu de massacre roboratif, au style surréaliste. Un homme arrache sa tête fatiguée pour la jeter aux ordures, un autre s’ouvre le crâne pour y noyer son cerveau dans l’alcool, une femme nue danse au milieu des ustensiles de cuisine…, autant d’images absurdes rappelant les dessins de Roland Topor. La parole n’est pas en reste, puisque les images sont accompagnées d’une voix off jubilatoire, sur laquelle Vincent Macaigne gueule sa colère. Autant que la prestation vocale du comédien, c’est la qualité du mixage qu’il faut saluer puisque chaque réplique est un mélange de plusieurs prises sur des tons différents, du chuchotement à la vocifération. Le film n’est pas pour autant misanthrope, révélant les fêlures de chacun et rappelant qu’on ne peut pas se passer de sa famille, aussi exaspérante soit elle.

Affiche le repas dominical

Un autre film d’animation, Journal animé, a reçu le Prix du scénario ; une récompense surprenante puisque le film n’a pas à proprement parler de scénario et a été improvisé au jour le jour, au hasard de l’actualité politique. Durant un mois, le réalisateur Donato Sansone a détourné les unes du quotidien Libération, superposant des dessins politiquement incorrects aux gros titres du journal (de la COP 21 aux attentats du 13 novembre 2015, lorsque le rire ne devient plus possible).

Un bon cru pour la comédie

KapunkaKapunka de Tal Greenberg s’amuse ainsi à transposer les codes du western (chapeaux à large bord et étendues désertiques) dans la campagne israélienne, où un fermier se joue des règles de la religion juive afin d’exploiter son lopin de terre. À la traditionnelle (et souvent dramatique) opposition entre Juifs et Musulmans, la réalisatrice substitue avec malice la rencontre inattendue du judaïsme et du bouddhisme.
Sans paroles ni couleurs, le film allemand Sweeper’s Pride (Matthias Koßmehl, récompensé par le prix Mèche courte) ne pouvait qu’évoquer Charlot, et y réussit d’ailleurs assez bien. On suit un balayeur des rues qui rentre dans une galerie d’art chic, un milieu bien éloigné du sien. Le noir et blanc, très contrasté, est utilisé pour opposer les deux mondes, vêtements sombres pour les travailleurs et blanc lumineux pour les visiteurs oisifs de l’exposition.
On s’amuse également à la vision de deux films français, Le Mécène (Lionel Auguste) et French Touch (Cheng Xiao-xing) : les retournements de situation s’y enchainent à un rythme soutenu, renversant les certitudes du spectateur, jouant sur les apparences (un chantage pas comme les autres dans Le Mécène ; les stéréotypes autour des Français et des Chinois, des hommes et des femmes dans French Touch).

slim-the-manSlim the Man de Samir Oubechou et Chérif Sais (Prix du public et mention du Jury presse) fait le pari de faire rire avec un sujet dramatique, le terrorisme. Le film se déroule dans les années 1960, dans un foyer pour immigrés algériens, mais il est plus que jamais d’actualité, abordant avec humour la religion, l’engagement politique et la liberté d’expression. La reconstitution est volontairement stylisée, pleine de couleurs vives et de rockeurs à Perfecto.
Slim the Man ne se passe pas vraiment dans les sixties mais plutôt dans l’imaginaire de la période. Il en va de même pour L’esprit du loup de Katia Scarton-Kim (et c’est bien là le seul point commun de ces deux films) : la rencontre (aussi fameuse que romancée) entre Fritz Lang et Joseph Goebbels y est filmée à la manière d’un film expressionniste, comme si Lang était plongé dans les ténèbres labyrinthiques d’une de ses propres œuvres. On assiste au face à face de deux hommes de pouvoir, Lang dominant le cinéma allemand pendant que Goebbels et son parti contrôlent le pays et s’apprêtent à le plonger dans l’horreur.

À l’intérieur

Un grand silenceChaque année, les membres du comité de sélection du festival remettent leur propre prix : la Coupe Juliet Berto – en hommage à la comédienne grenobloise – récompense une œuvre au(x) personnage(s) féminin(s) fort(s). La Coupe a été remise cette année à un des meilleurs films de la sélection, Un grand silence de Julie Gourdain. Ce silence, c’est celui qui entoure les maisons maternelles, établissements qui accueillaient il n’y a encore pas si longtemps des filles-mères rejetées par leurs familles, envoyées à la campagne pour masquer leur grossesse. Mises à l’écart spatialement, les jeunes femmes sont aussi reléguées hors du temps : rien dans le décor ni les vêtements ne permet de dater précisément l’action, quelque part entre le dix-neuvième siècle et l’après-guerre. À l’extérieur de la maison, c’est en réalité Mai 68 qui fait rage, un tournant pour les droits des femmes. La période est évoquée avec finesse et discrétion. Il suffit à la réalisatrice de quelques détails (un flash d’actualité à la radio, une chanson yéyé et quelques posters sur un coin de mur) pour faire revivre l’époque dans l’esprit du spectateur, sans détourner son attention de l’élément central du film, les liens qui se nouent entre les captives, aux origines et aux caractères variés. Pour l’héroïne du film, l’enfermement devient paradoxalement une ouverture sur le monde : issue d’un milieu bourgeois refermé sur lui-même, elle côtoie dans la maison maternelle des filles appartenant à une classe populaire dont elle ignorait tout, en particulier une immigré algérienne qui lui fait découvrir une autre culture ; ces rencontres qui l’aident à quitter l’enfance pour devenir une femme indépendante.

Grand HuitAutre beau portrait de jeune femme, Grand huit de Camille Fleury est un tour de montagnes russes émotionnel, qui suit le quotidien d’une jeune schizophrène (superbement interprétée par Élise Lhomeau, dont les grands yeux bleus s’accordent avec le décor, tout en nuances de bleu et de gris). Comme la patiente, le film alterne phases d’agitation et moments d’une grande douceur. Dès la première scène, où l’on suit caméra à l’épaule la jeune femme en train de courir dans les couloirs de l’hôpital, le spectateur est placé au plus près du personnage, et partage son état d’esprit troublé.
D’enfermement, il en est encore question dans Aux battements du parloir de Pascal Marc, composé de cinq courtes scènes, cinq rencontres entre un père incarcéré et son fils, échelonnées sur 15 ans. La gageure était double : filmer dans un décor unique et étriqué (un parloir de prison de deux mètres carrés, aux murs nus) et rendre compte du passage du temps, du vieillissement (physique et psychologique) des personnages. Le film est donc doublement réussi, chaque ellipse dévoilant une évolution forte dans la vie et le comportement des protagonistes.

Deux comédiens français

RhapsodyRhapsody de Constance Meyer met en scène Gérard Depardieu de façon intéressante, confrontant son physique massif au petit corps du bébé dont s’occupe son personnage. L’homme viril occupe un emploi « féminin » de nourrice. Les rondeurs de l’acteur sont également mises en perspective avec les angles droits d’une cité dortoir : il semble perdu dans cette vaste architecture géométrique, qui matérialise sa solitude.
Vincent Rottiers s’est imposé comme le meilleur acteur de sa génération, avec une intensité qui rappelle parfois le Depardieu des débuts. Dans Sisu de Frédéric Farrucci, il prête sa nervosité et son regard d’acier à un jeune pilote de rallye automobile. Le film se dérobe, semble hésiter entre plusieurs genres (film d’amour ? film sur le sport ?) avant de révéler, dans la dernière ligne droite, son sujet profond : le récit d’une obsession dévorante, qui finit par éliminer les intrigues et les personnages secondaires pour mieux mettre en scène le combat du personnage avec lui-même.

Tour du monde

Circus Nowhere copy

La production internationale ne fut pas en reste, avec des propositions de cinéma variées.
Circus Nowhere de Lisa Svelmøe se déroule dans un univers magique à la Lewis Carroll. Séduisant pour les yeux mais aussi bien trop prévisible, ce film danois a reçu le Prix du jury jeune.
Coup de balais sur le pont de Boureima Nabaloum raconte en animation la révolte de 2014 contre le président burkinabé Blaise Compaoré : la confrontation entre le pouvoir et le peuple se cristallise sur un pont, lieu de passage et de rencontres, trait d’union entre les individus, symbole d’un espace public à reconquérir (comme, récemment, la place de la République en France). Le film est accompagné d’une superbe voix off slamée, entre la parole et le chant, qui apporte aux images une dimension poétique.
Reflection of Power de Mihai Grecu (Prix spécial du jury) nous montre aussi la chute d’un empire. Le réalisateur imagine la submersion de Pyongyang, capitale de la Corée du nord. Loin des excès du cinéma catastrophe, ce film expérimental aux trucages hyperréalistes travaille sur la durée, la montée progressive des eaux rappelant la fragilité du pouvoir dictatorial, masquée par son architecture massive, solide seulement en apparence.

werkzaamheidEn Néerlandais, Werkzaamheid signifie « travail », un sujet que le court-métrage d’Oscar Van Der Kruis traite d’une façon tout à fait originale, en montrant les gestes répétitifs d’ouvriers en train d’empiler des briques ou de percer des trous. La forme est austère (de très longs plans fixes) et a provoqué les bâillements de certains spectateurs. D’autres (c’est notre cas) on trouvé le film hypnotisant. Le réalisateur prend son temps afin de mettre en valeur la précision de chaque geste, l’absolue maitrise de la machine humaine. La durée des plans amène le spectateur à regarder au-delà de la routine apparente pour y discerner des variations, parfois infimes, dans l’activité du travailleur, qui témoignent de sa capacité d’adaptation, et donc de son intelligence. Les scénographies extrêmement travaillées du premier et du dernier plan forcent le respect, mais la partie centrale du film, qui présente des variations autour de la même idée, est peut-être plus anecdotique. Ce qui n’a pas empêché le film de recevoir le Prix du jury presse, doté entre autre, d’un bel abonnement à L’Avant-scène cinéma.

La dimension internationale du festival était également visible en dehors de la compétition officielle, avec entre autre la présence du réalisateur iranien Zanyar Azizi, brimé dans son pays, et la présentation du projet « Ciné Guimbi », dont l’objectif est de remettre en service le cinéma de Bobo-Dioulass, la seconde ville du Burkina-Faso, actuellement dépourvue de toute salle.

Enfances

Je suis le premier pasPour la deuxième année, le festival bénéficiait aussi d’une programmation jeunesse, composée d’excellents court-métrage d’animation (et de quelques films live tout aussi réussis, comme Je suis le premier pas de David Noblet et Arnaud Guez, qui décrit les facéties de deux enfants enfermés dans une voiture). Qui dit jeunesse ne dit pas forcement bons sentiments : Totems de Paul Jadoul, qui a reçu le Prix du film jeune public, décrit ainsi les souffrances d’un bucheron coincé sous un arbre. Le film utilise à merveille les possibilités métamorphique et métaphorique du cinéma d’animation : pour se dégager, l’homme se transforme en plusieurs animaux (les « totems » du titre), changeant de forme en fonction des états émotionnels qu’il traverse, ainsi qu’en suivant le rythme de la musique, également composée par le metteur en scène, qui travaille ainsi sur l’alliance chorégraphique de l’image et du son.

Cour de récréCour de récré de Claire Inguimberty et Francis Gavelle (Prix UniFrance) est également une œuvre faussement naïve, qui montre comment les amours enfantins se transforment en drames d’adulte. D’abord charmé  par le graphisme coloré, le spectateur est progressivement mis à distance par une voix off sans affects. Belle idée visuelle, les humeurs des personnages apparaissent à l’écran sous la forme de tâches d’encre colorées (bleue pour la tristesse, rouge pour la colère…) qui se superposent aux images.

Cette trente-neuvième édition du festival fût également marquée par plusieurs changements au sein de la Cinémathèque de Grenoble, organisatrice de l’évènement. Le premier, douloureux, était l’absence de Michel Warren, fondateur de la Cinémathèque et du festival, décédé l’été dernier, et auquel un hommage a été rendu ; le second, plus joyeux, fut le passage de flambeau entre l’actuel directeur Guillaume Poulet et sa successeure, Peggy Zejgman-Lecarme. Un renouvellement qui confirme qu’à bientôt quarante ans, le Festival du Film Court en Plein Air de Grenoble ne connait pas la crise.

SYLVAIN ANGIBOUST

Un grand merci à toute l’équipe du Festival

Le palmarès complet du Festival
http://www.cinemathequedegrenoble.fr/uploads/2014/04/Palmares-2016-OK-.pdf

Ciné Guimbi
http://www.cineguimbi.org/




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