Publié le 13 décembre, 2018 | par @avscci
0Utoya 22 juillet d’Erik Poppe
Quelques semaines après la mise en ligne du film Un 22 juillet de Paul Greengrass sur Netflix, on découvre enfin sur grand écran le film du réalisateur norvégien Erik Poppe qui porte sur le même sujet : l’attaque meurtrière menée par Anders Breivik contre le camp des jeunes travaillistes norvégiens sur l’île d’Utoya le 22 juillet 2011, ici reconstituée en temps réel, dans un unique plan séquence de 93 minutes. Le film suit Kaja, une jeune fille présente sur l’île, qui tente d’échapper au tueur tout en essayant de retrouver sa sœur. Plus que l’horreur des tirs et les corps qui s’effondrent, le récit se concentre sur le parcours du personnage et les questions auxquelles elle est confrontée… Où se cacher ? Que faire pour aider les autres ? Comment réagir face au danger ? Hormis sous la forme d’une silhouette fugace, on ne verra jamais vraiment Breivik, et c’est le son, plus que l’image, qui apporte une dimension anxiogène au film.
Erik Poppe a ainsi fait le choix de la plus grande sobriété, sans pour autant s’exonérer d’une forme fictionnelle (ses personnages sont fictifs et seuls les différents événements sont inspirés des récits des rescapés), voire d’une once de romanesque. Et c’est là que le film prend une distance par rapport à lui-même : face à cette situation bien connue des amateurs de film d’horreur (un groupe de jeunes gens menacés par un tueur invisible), le réalisateur n’évite pas certains tics du cinéma de genre, et laisse monter, peut-être malgré lui, un suspense forcément ambigu. Ce faisant, il interroge le regard du spectateur et décortique son rapport à ce type d’images qui est à la fois sous l’influence de références de fiction (le cinéma d’horreur et le jeu vidéo) et contaminé par les faits réels qui se sont multipliés en Europe ces dernières années. Il montre alors comment ce qui était une situation purement fictionnelle est entré de plein fouet dans notre quotidien, rendant tendancieuse, si ce n’est obscène, la « refictionnalisation » de cette réalité. POPPE réalise ainsi un film qui met quasiment en scène sa propre impossibilité, posant la question de la reconstitution de l’horreur récente et de la manière dont l’art en général, et le cinéma en particulier, peut et doit s’en emparer.
Marie-Pauline Mollaret
Film norvégien d’Erik Poppe (2018), avec Andrea Berntzen, Elli Rhiannon Muller Osbourne, Aleksander Holmen. 1h33.
Critique en partenariat avec l’ESRA.